Le Nouveau Monde (The New World) (19/02/2006)
Le Paradis Perdu de Pocahontas
Encore un superbe film de Terrence Malick, aussi sensitif et habité que "The Thin Red Line". Comme beaucoup d'européens, je ne connaissais que vaguement la légende de Pocahontas, pourtant un des mythes fondateurs des USA, n’ayant même pas vu le dessin animé de chez Disney.
J’ai été ébloui. On retrouve dans cette histoire tout le tragique des amours d’Hélène et Pâris [1], ou celui des "Dames du Lac" de Marion Zimmer Bradley [2] qui conte la fin de la civilisation druidique britannique colonisée par le christianisme médiéval romain.
Le monde indien est une civilisation chamanique basée sur le respect de la Nature, du rythme des saisons, où règne une vraie harmonie entre les hommes et les autres occupants de l’Univers. En cela, il s’oppose totalement aux valeurs occidentales où les techniques, les conventions, la soif du profit sans limites, l’intolérance religieuse conduisent à la pollution de l’environnement, aux conflits de personnes, à l’exploitation systématique d’autrui. Cela est bien montré dans le film par les chercheurs d’or mourant de faim, la disparition des poissons, le cannibalisme, les rebellions continuelles, les terres dénudées, le fort boueux et insalubre, les maladies causées par cet environnement malsain.
Le film prend principalement le point de vue de Pocahontas, depuis l’arrivée des bateaux jusqu’à la découverte de la cour du roi James, des maisons de pierre et des jardins 'à la française'. Elle est la victime innocente de ce choc des cultures, trompée par ses sentiments, incapable d’imaginer le double langage de John Smith, aventurier aventureux pour qui la fuite en avant est une seconde nature, et incapable d’apprécier le bonheur quand il se présente à lui.
Pocahontas, comme "Mme Butterfly" de Puccini quelques siècles plus tard, finit littéralement tuée par l’occident, la maladie qui l’emporte mais aussi et surtout l’impossibilité de s’accorder à un monde dont les valeurs ne sont pas les siennes. L’Amour dans ce contexte n’est fait que d’incompréhensions mutuelles, que ce soit avec John Smith ou avec John Rolfe, et est voué à l’échec malgré le désir commun et les concessions réciproques.
L’échec de cet amour est aussi celui de l’Utopie, celui de créer une société nouvelle débarrassée de ses défauts, telle que la rêve John Smith en débarquant en Virginie.
Comme Adam et Eve croquant la pomme, Pocahontas et John Smith inaugurent aussi malgré eux une ère de violence, de trahisons et de douleurs [3] et contribuent à la fin du paradis originel [4].
Exit donc le rêve d’une nation métisse dont ils auraient été les fondateurs, les héros trop immatures n’étant pas à même d’endosser le poids de l’Histoire, et début du génocide de la nation indienne repoussée toujours plus loin par le fer et le feu [5].
Le film retranscrit très bien cela, avec un rythme lent, s’arrêtant sur chaque brin d’herbe, nous laissant savourer le chant des oiseaux, le glougloutement de l’eau ou le bruissement du vent dans les branches. Peu de dialogues, majoritairement intérieurs, mais les hésitations, les silences et les expressions des corps et des visages sont souvent plus parlants que bien des scénarios bavards. Q’Orianka Kilcher (15 ans!) notamment, illumine l’écran de sa présence.
A voir donc par tous ceux qui ne sont pas allergiques à un cinéma méditatif, à mille lieux des films 'historiques' habituels (comme le médiocre "1492" de Ridley Scott, par exemple).
Note: 8/10
Compléments :
> Fiche Cinéfil.
> Le site du film (vf).
> Rappels historiques: Pocahontas et les indiens de Virginie.
> Les critiques quasi-unanimes de Critikat, Excessif, CommeAuCinéma, Fluctuat, FilmDeCulte, Ecran Large, LeMonde, Cronic’art, Mulderville.
> Sur les blogs: CriticsOnline et SebInParis.
Connexions :
[1] à voir et lire: "La Guerre de Troie n’aura pas lieu" de Giraudoux sur le poids du destin, et l’impossibilité pour quelques individus de s’opposer à une catastrophe annoncée.
[2] voir également "Les Brumes d’Avalon" très bonne adaptation faite par TNT et disponible en DVD.
[3] sur la violence à l’origine de la société américaine moderne, voir "Bowling for Columbine" de Michael Moore, "Gangs of New York" de Martin Scorcese ou "A History of Violence" de David Cronenberg.
[4] Cf. "Le Paradis Perdu" de John Milton, traduit par Chateaubriand.
[5] Cf. "Le Dernier des Mohicans" d'après Fenimore Cooper.
20:00 | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : Cinéma, Amériques | Imprimer
Commentaires
Bravo pour votre critique et ses connexions. Je viens de faire un trackback vers cette note et j'en profite pour vous remercier de faire figurer ma note dans vos liens.
Il est vraiment rare de lire des notes sur le cinéma écrites dans un français irréprochable et avec un avis argumenté. Cela change des "holalala j'ai pas aimé....... n'y allez pas hein!". Je parodie mais je viens de voir un avis de ce genre, effrayant, sur The New World dans un des blogs référencés dans la catégorie Cinéma de BlogSpirit.
Écrit par : Sébastien | 21/02/2006
Je profite des newsletter afin de te remercier encore pour tous tes commentaires. Qui sont toujours aussi pertinents. Et j'espère bien avoir un peu de temps pour me rendre au cinéma.
Bonne continuation
Écrit par : Tita | 27/02/2006