Maria Dolorès, de Wayn Traub (08/03/2006)


Yin et Yang: La Vierge et la Madone.

Difficile de raconter "Maria Dolorès", première grande création (2002) de Wayn Traub, dandy esthète dans le droit fil d’Oscar Wilde. La pièce est longue, complexe, foisonnante et brasse les grands thèmes philosophico-religieux de notre société occidentale. A la représentation de mardi, quelques rares personnes (âgées) sont parties au bout d’une demi-heure, quelques autres ont hué à la fin, mais les applaudissement ont été nourris, preuve que le public parisien avait apprécié, même si les conversations montraient qu’il n’avait apparemment pas tout compris.

La pièce mixte la performance de 2 actrices sur scène, avec un film diffusé dans le fond qui explique et commente l’action de façon décalée. Ce dispositif est proche du 'benshi' japonais, où des comédiens jouent et commentent devant un film muet. Le dispositif scénique est sobre, surmonté d’une couronne d’épines lumineuses, et joue essentiellement sur les jeux de lumières, et les interactions entre la scène et le film diffusé en continu.

Maria Dolorès, c’est Maria et Dolorès (les religieuses), Marie et Dolly (les actrices), la Vierge et les douleurs (de l’enfantement, des contritions), les 2 faces d’une même pièce, les 2 aspects d’une même réalité Yin et Yang. La pièce joue en permanence sur les oppositions: jeune/vieille, blonde/brune, classique/moderne, blanc/noir, lumières/ténèbres, vie/mort, vierge/démon, etc. Les thèmes abordés sont ceux de la vie, de la vieillesse, de la mort, de la naissance, du désir, des illusions, des regrets...
Sur scène, le conflit s’installe entre la Mère supérieure d’un couvent médiéval, orpheline de naissance, dont les pénitences sont un chemin pour trouver la voie vers sa mère, assimilée à la Vierge Marie, et la jeune novice, spontanée, qui accumule les visions d’une 'Dame' auréolée de lumière, mais munie d’une faux et d’un miroir.
En parallèle dans le film, 2 actrices belges, l’une jeune-wallonne-blonde-moderne-delurée, l’autre âgée-flamande-brune-classique-complexée, se préparent à jouer la pièce et s’immergent dans leurs rôles. Elles sont filmées en permanence par une caméra de télé-réalité, le réalisateur étant le compagnon de l’une et devenant l’amant de l’autre. On y trouve aussi les tractations des producteurs, un dessin animé iconoclaste sur la relation Joseph/Marie, un concert symphonique, une pseudo émission littéraire confrontant l’auteur supposé du texte et un critique professionnel jargonnant.
Le film est donc à la fois un écho moderne de l’histoire de base, un 'making-off', un commentaire de l’action, une critique du milieu théâtral traditionnel, le tout s’interpénétrant et permettant une meilleure compréhension de l’ensemble.

A la fin, la boucle est bouclée telle un ruban de Möbius qui se retourne sur lui-même. Brune et blonde ont échangés leurs rôles, la jeune est devenue mère, on retrouve la brune dans la peau de l’enfant orpheline, l’apparition invisible est devenue visible, la vivante est morte, la morte a repris vie. Les différents éléments disparates ont finit par converger en une impressionnante cohérence, mettant en évidence la qualité du travail d’écriture et de montage des concepteurs.
Wayn Traub, concepteur-scénariste-scénographe-chorégraphe-metteur en scène, participe également, par le mime et une voix off, en assurant un prologue et un épilogue, proche du théâtre classique élisabéthain (Cf. "Roméo & Juliette" par exemple). Les actrices-comédiennes-scénaristes sont particulièrement impressionnantes, de par leurs performances scéniques et filmiques.

En bref, un petit chef d’œuvre, à recommander à ceux que n’effraient pas une création artistique difficile, mais très stimulante pour l’esprit de celui qui la regarde. Par contre, ceux qui n’ont pas aimé "Le Nouveau Monde" ou "Syriana", par exemple, feront bien de ne pas s’y frotter, ils ne pourraient qu’en sortir déçus.

Compléments :
> Wayn Traub vu par L’Humanité (France).
> Wayn Traub au Théatre de la Ville de Paris en mars 2006.
> Wayn Traub au Festival de Genève en septembre 2005.
> Le film "Maria Dolores" qui est sorti de façon indépendante en 2004.
> "El Automovil Gris" : un benshi nippo-mexicain, passé le 01/04/2004 au Festival de l’Imaginaire de la Maison des Cultures du Monde (Alliance Française, Paris).
> "Epidemic" de Lars Von Trier pour un mélange fiction/réalité analogue dans un univers cinématographique.

20:00 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Culture, Théatre, Belge |  Imprimer