99 Francs, de Jan Kounen (08/10/2007)

99 FrancsL'Illusion Comique de l'An 2000.

Le Monde est une Illusion. Celle que notre Esprit se plait à créer sous nos yeux, pour se rassurer d’être vivant, de ne pas être seul, de ne pas être un autre.
Ce n’est pas Jan Kounen qui me démentira, lui qui a laissé tomber le monde lucratif de la pub et du cinéma commercial, pour aller explorer l’univers chamanique, auprès des populations indiennes.

Comme dans un roman de Philip K. Dick, Octave est un rouage important du système (du moins le croit-il) jusqu’à ce qu’il se réveille de son ‘bad trip’, ne sachant plus trop où est la réalité des choses. Kounen et Dujardin connaissent bien le milieu et frappent fort en dénonçant l’élitisme, le fayotage, l’abus de drogues, le racisme ordinaire (surtout pas de noirs à la télé!), la bêtise des donneurs d’ordre, la crétinisation des masses, la lâcheté des individus face à leurs responsabilités (de père, de citoyen, d’amant, …). Mais au-delà de la critique sociale du milieu de la pub et de ses dérives, c’est en effet à un récit initiatique que l’on est convié. Comme l’indique les têtes de chapitres réalisés sous forme de fausses pubs (Je, Tu, Il, Nous, …, Ils), la progression se fait d’un Ego démesuré vers la fusion dans le Grand Tout, via des phases de communion avec les autres (la femme aimée, le chef suicidé, le groupe de collaborateurs, les clients). Les étapes vers l’Éveil se font via des événements dramatiques (rupture, naissance, mort, …) qui ébranlent les certitudes et font apparaître le Monde tel qu’il est. Comme Alice poursuivant le Lapin Blanc, Octave passe à travers le miroir, et se retrouve sur les plateaux de tournage où il prend conscience de la Vacuité du Monde dont il est en partie l’architecte. Quoi de plus artificiel que la famille modèle (danoise ?, suédoise ?) utilisée pour vendre un produit insignifiant ? Quoi de plus trompeur que de prendre une call-girl pour incarner une ménagère de moins de 50 ans ?
Comme Néo dans Matrix (informaticien dans un monde informatique), il se rend compte que les manipulateurs sont aussi des marionnettes qui n’ont aucune prise sur leur vie réelle.
La double fin, si décriée par certains, est une idée particulièrement brillante. Elle montre l’illusion du retour à une ‘vie naturelle’, telle qu’elle a été implantée dans notre subconscient. Le nouveau Robinson, isolé de sa communauté, ne peut qu’aller de déboires en déboires, loin des images paradisiaques confortées par la publicité.

99 FLe mauvais accueil critique de la plupart des médias installés, et de bon nombre d’internautes conformistes, n’est donc pas très étonnant. En son temps "Tout le Monde il est Beau, Tout le Monde il est Gentil" de Jean Yanne avait déjà subi le même style de critiques négatives en s’attaquant de façon corrosive aux milieux médiatiques.
Le contexte est certes un peu daté. De nos jours, le Pouvoir n’est plus chez les fabricants (de yaourts ou autres produits), mais chez les distributeurs (grandes surfaces ou médias audiovisuels). "La Vérité Si Je Mens 2" était dans ce domaine beaucoup plus actuel.
Le fond du problème n’a malheureusement fait que s’aggraver ces dernières années. En industrialisant des procédés plutôt artisanaux, et en analysant de manière toujours plus scientifique le comportement, les motivations et la psychologie des rats de laboratoires que sont les consommateurs, on se dirige de façon de plus en plus certaine vers un monde totalement manipulé à la Fahrenheit 451.
On peut donc remercier Arte et Canal+ pour avoir eu le courage de financer ce futur film-culte, qui ne passera sans doute jamais sur TF1. Ça serait mauvais pour la rentabilité du 'temps de cerveau disponible'.

Note : 9/10

Compléments :
> Le site du film.
> Les critiques de CommeAuCinéma, Excessif, FilmDeCulte, Fluctuat, iMedias (1), iMedias (2), KrinEin.
> Sur les blogs: CriticoBlog, LaSenteurDeL'Esprit, BuzzLine, CultureCafé.

20:00 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, actualités, médias |  Imprimer