Le Dernier Voyage du Juge Feng (Mabei Shang De Fating) de Liu Jie (05/11/2007)

Le Dernier Voyage du Juge FengLa Mort annoncée du Communisme et des Minorités.

C’est toujours intéressant de voir un film se passant dans une région qu’on a soi-même visité. Cela permet de repérer et comprendre de nombreux petits détails qui seraient autrement passés inaperçus. En retour, on comprend mieux le mode de vie des populations qu’on n’a fait que côtoyer, sans avoir le temps et les moyens de fréquenter de façon plus approfondie.

Le récit du "Dernier Voyage du Juge Feng" se passe dans le nord du Yunnan, sur les contreforts de l’Himalaya. Le comté de Ninglang, dépendant de Lijiang, est essentiellement peuplé de Naxi et de Yi avec une petite communauté Mosuo autour du lac Lugu. La région est très montagneuse, formé de petites vallées constituées autour des affluents du Fleuve aux Sables d’Or (Jinsha), le fleuve qui en grossissant finira par devenir le célèbre Yangzi Jiang (vu dernièrement dans "Still Life"). De nombreuses prises de vues montrent l’une de ses boucles, située dans la région du Mont du Dragon de Jade (Yulong Xue Shan). La région est proche de l’ancien Tibet historique (on voit d’ailleurs à un moment, une caravane de marchands tibétains venu vendre leur sel et acheter des produits locaux).

MosuoProvince pluriethnique, le Yunnan essaie de conjuguer les traditions des nombreuses minorités locales avec les institutions de l’Etat central. Evidemment, Justice, Police, Armée, Ecoles sont entièrement contrôlées par Pékin. Mais la vie des villages telle qu’elle est montrée dans le film est en complète voie de disparition. Si la vie des paysans les plus pauvres et isolés (notamment les Yi noirs) ressemble à peu près à ce qu’on voit, celle des Naxi (près de Lijiang) et des Mosuo (concentrés autour du lac Lugu) a profondément changé suite aux travaux d’infrastructures (routes, ponts, relais télécoms, …) menés ces dernières années, et à l’invasion touristique qui s’en est suivi, aussi bien par les chinois aisés du littoral que par les étrangers occidentaux. Le centre-ville de Lijiang, à peine aperçu lors du départ du 4x4, est aussi fréquenté au mois d’août que les sites touristiques des grandes villes européennes. Les jeunes fuient leurs villages pour trouver du travail, rêvent de se marier à l’occidentale (grande robe blanche de rigueur) et ont tous un portable, même s’ils s’en servent peu (surtout des SMS) car les communications sont relativement chères pour eux.
Les coutumes périclitent, les costumes traditionnels ne sont plus portés que par les vieilles femmes et les employées du secteur touristique. Le Dongba, ancienne langue sacrée des Naxi, n’est plus parlé et écrite que par une quinzaine de personnes. Ses jours sont donc irrémédiablement comptés.

LijiangLe film de Liu Jie présente tout ceci de façon symbolique avec les personnages du vieux juge (représentant des idéaux du communisme paysan, juste et impartial), de la greffière (une Mosuo, mise à la retraite d’office pour faire place aux jeunes apparatchiks Han), du jeune juge (prétentieux, dogmatique, égoïste, faisant passer ses intérêts personnels avant ceux de la Justice) et de sa fiancée (représentant les jeunes des minorités subjugués par les attraits de la modernité).
Comme ces personnages, la Chine actuelle marche les yeux fermés, indifférente aux dangers de la route, remplaçant la solidarité ancestrale par le ‘chacun pour soi’, laissant derrière elle ceux qui sont trop vieux pour suivre le mouvement. Jusqu’à la chute finale…

Note : 9/10

Compléments :
> Le site du film.
> Les critiques de CommeAuCinéma, Libération, L'Humanité, Telerama, Excessif, Fluctuat.
> Sur les blogs: CriticoBlog, LaSenteurDeL'Esprit, CosmopolitanStories, BenzineMag.

20:00 | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : cinéma, chine |  Imprimer