Extension du Domaine de la Lutte (08/11/2005)

Socio-Economie de la Relation Humaine

Comme l’a très bien montré Michel Houellebecq dans ses romans, le monde occidental a radicalement changé d’orientation au niveau des rapports humains.

On était, jusqu’au milieu du 20-ième siècle, dans un système relationnel relativement artisanal, patriarcal, dont le but était de créer une famille dans l’intérêt du clan. On prenait son temps (engagement, fiançailles puis mariage).
Pour ceux qui étaient exclus ou insatisfaits du système, le substitut en était la prostitution (bordels institutionnalisés) ou l’adultère (séparation des fonctions entre l’être aimé et le conjoint) [1].
Ce système était en phase avec une économie dirigée, paternaliste, colonialiste, où l’emploi était souvent à vie dans la même région et la même entreprise.

On est passé depuis à une économie de marché basée sur la consommation de masse, le libre-échange, l’ouverture des frontières, la loi de l’offre et de la demande, une précarité plus grande de l’emploi.
Dans le domaine relationnel, la liberté prévaut (ce ne sont plus les parents qui choisissent le conjoint) et la norme est désormais de vivre avec l’être aimé.
La libération sexuelle des années 1960-70 est passée par là, et l'échangisme a remplacé la prostitution. En France, les maisons closes sont d'ailleurs devenues illégales en 1946 (Loi Marthe Richard) et la prostitution est régulièrement combattue, même si elle ne peut évidemment être éradiquée.
Les effets secondaires sont néanmoins les mêmes dans les 2 cas.
L’augmentation du volume permet une augmentation du profit global, mais le profit individuel est souvent plus réduit (diminution des marges).
La rapidité des échanges implique qu’on se trompe plus souvent (pas le temps d’être sûr avant de s’engager).
Afin de permettre la fluidité du système, le turn-over et la mobilité doivent être importants (c’est le seul moyen d’adapter l’offre et la demande). On remplace une gestion de stocks par une gestion à flux tendus.
Il y a baisse globale de la qualité (on ne construit plus pour durer éternellement) et accroissement de l’obsolescence des produits (divorces et déchets ménagers ou industriels sont très importants).
Pour ceux qui sont exclus ou insatisfaits du système, le substitut en est la pornographie (films X, Internet, …). La notion d’adultère devient vide de sens, car le mariage a tendance à disparaître et les divorces sont en augmentation constante, les couples se faisant et défaisant très vite.
Avec Internet, on arrive au stade ultime où l’espace s’est étendu à toute la planète, alors que le temps d’une relation peut se contracter jusqu’au minimum possible.

Concernant la situation de la femme, on est passé d’un statut de soumission (au père, au mari) à une réelle liberté théorique.
Cette évolution se rapproche de l’émancipation des 'nègres', après les lois anti-esclavagistes de la fin du 19-ième siècle.
Le problème est que la Liberté n’est pas une notion innée. Elle demande un apprentissage et se construit pendant l’enfance, en reproduisant les modèles sociaux en vigueur.
Dans beaucoup de cas, à cause d’une éducation inadaptée, les sujets se retrouvent incapables à vivre de façon réellement libre et indépendante.
C’est le 'syndrome de l’Oncle Tom', beaucoup de Noirs ayant continué à travailler comme domestiques ou journaliers pour leurs ‘maîtres’, faute de pouvoir concevoir un autre destin. De nos jours, il existe également de nombreuses femmes islamistes défendant leur soumission à leur seigneur et maître.
Sur le Net, je suis assez effaré de voir le nombre important de femmes qui recherchent encore un 'Prince Charmant, grand, protecteur' ou un 'Suggar Daddy généreux', préférant la sécurité de leurs chaînes à l’exercice d’un droit fondamental si chèrement acquis. N’est-ce qu’une mauvaise résolution du complexe d’Œdipe ? ou une vénalité bien comprise ?

Psychologiquement, les dégâts sont importants.
Les personnages houellebecquiens, issus des classes moyennes cultivées, sont écrasés par le quotidien, et sombrent dans la dépression et le suicide, quand ils ont eu la chance d'échapper à la maladie. Plus lucides que la moyenne, ils n'ont pas les moyens d'être dans le haut du panier, ni la ressource de se décerveler devant la télé ou dans les stades.

Le film de Philippe Harel est particulièrement fidèle à l'univers de l'auteur, et est à recommander à tout ceux qui ne supportent pas l'écrivain. Cela leur permettra de ne pas rater une des meilleures analyses de la société moderne jamais écrite ces dernières années, et les incitera peut-être à aller vers les bouquins [2][3][4].
C'est tout le bien qu'on peut leur souhaiter.

Note: 9/10

> Fiche Cinéfil

A (re)lire :
[1] ‘Histoire des Passions Françaises’ par Théodore Zeldin, historien britannique spécialiste de la vie sociale et sentimentale des français à la fin du 19-ième siècle (en 5 volumes).
[2] ‘Extension du Domaine de la Lutte’
[3] ‘Les particules élementaires’
[4] ‘Plateforme’

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