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23/08/2007

La Possibilité d'une Ile, de Michel Houellebecq

Karma-Sutra

En plus de s’intéresser aux aspects socio-économiques de la relation humaine ("Extension du Domaine de la Lutte", "Plateforme"), Houellebecq développe aussi souvent des notions plus métaphysiques liées au sens de la Vie. "Les Particules Élémentaires" posait la question de la cause de la Souffrance, et de la Voie à suivre pour y remédier. "La Possibilité d’une Île" en est la suite logique, envisageant les conséquences des travaux de Michel Djerzinski.

Matériellement, le roman prend la forme des romans d’anticipation de tradition française ("L'Éternel Adam" de Jules Verne, "Le Grand Secret" de René Barjavel ou "L’Ève Future" de Villiers de L'isle-Adam) en lorgnant un peu sur les équivalents américains ("Je Suis une Légende" de Richard Matheson, par exemple).
Le récit se développe sur plusieurs siècles, tenant pour acquis un désastre écologique majeur, allié à des guerres entres nations riches et pauvres pour s’assurer les dernières ressources naturelles disponibles. L’Humanité finit par se scinder en 2 groupes, les riches se reproduisant en vase clos, grâce au meilleur de la technologie, les pauvres finissant par régresser vers un stade de sauvagerie animale.

Son prétexte scientifique repose sur le clonage, prôné par une secte promettant l’immortalité individuelle. On fait vite le rapprochement avec les raéliens, que l’auteur a fréquenté quelques temps. La description féroce des motifs et des agissements du gourou, montre bien que Houellebecq est bien trop malin pour se faire avoir par ce genre de manipulations, et que le procès d’intention qui lui a été fait par certains n’était pas du tout fondé. Il a dû certainement prendre un grand plaisir à aller observer de l’intérieur le fonctionnement de ce genre de machine à décerveler. Il ironise d’ailleurs encore beaucoup sur les écrivaillons du milieu culturel franco-parisien, réalisateurs de produits marketing plus destinés à flatter les bas instincts du public pour se remplir les poches, qu’à délivrer des œuvres destinées à rester dans la postérité.
Si ses thèmes de base restent les mêmes (humanité conduite par le sexe, fuite vers le néant, pessimisme généralisé quand à la nature humaine), le style est un peu plus léger que dans ses ouvrages précédents. Le personnage principal étant un comique de bas niveau (style Arthur ou Bigard), les considérations philosophiques volent un peu moins haut. Les descriptions, quoique crues, de la vie quotidienne sont moins longues, moins obsessionnelles et moins sulfureuses que d’habitude. Les lecteurs énervés par le ‘style Houellebecq’ devraient donc le supporter plus facilement.

Sur le fond, 2 niveaux de lecture se détachent.
Le premier brasse les thèmes de la place de la vieillesse et de la jeunesse dans notre société, de la compétition naturelle entre vieux/riches et jeunes/pauvres, de la prépondérance absolue du paraître qui gangrène la société moderne en imposant le mythe d’une nécessaire jeunesse éternelle.

Le second reprend une thématique bouddhiste déjà esquissée dans "Les Particules Élémentaires". La partie contemporaine insiste sur le désir, et son insatisfaction chronique, comme cause essentielle de la souffrance existentielle de notre vie moderne. La maladie, la vieillesse et la mort sont systématiquement cachées, dans une tentative illusoire de vouloir se créer un Paradis artificiel. La partie future décrit un monde qui a cru supprimer la douleur de vivre en supprimant les émotions. La succession des clones est une forme de réincarnation, dont les corps sont à la fois identiques (même patrimoine génétique) et différents (pas de transmission des souvenirs). La continuité de l’Identité d’un individu doit donc se faire par l’enseignement (via l’étude et le commentaire des journaux intimes des générations précédentes). Dans la secte Elohimiste, les ‘Néo-humains’ correspondent donc à des Bodhisattvas artificiels, non soumis aux désirs (du sexe, de la nourriture, …), et les ‘Futurs’ à des Bouddhas pleinement réalisés, n’ayant plus besoin de se réincarner. Cette solution technologique ne peut pourtant que conduire à une impasse. La Cessation de la Souffrance a en effet été obtenu par des manipulations génétiques, sans tenter de résoudre le problème au niveau psychologique. Les clones obtenus deviennent alors une autre espèce animale, incapable de comprendre leurs prédécesseurs, ou même d’avoir quelque relation que ce soit avec leurs semblables. Devenir un Bodhisattva ne consiste pas à couper tous les ponts avec le Monde qui nous entoure, dans une démarche autistique, mais au contraire à augmenter son niveau de conscience pour interagir avec l’ensemble de l’Univers et ne faire plus qu’Un avec lui.

"La Possibilité d’une Île" est le récit d’une recherche d’un Paradis illusoire, par des méthodes insensées et périlleuses pour l’espèce humaine. Espérons que le clonage humain restera du domaine de la fiction, et que des fous dangereux n’auront pas un jour les moyens d’effectuer ce genre de réalisations.

Note: 8/10

Compléments :
> Le site officiel consacré à Michel Houellebecq.
> Les critiques de Lire, CritiquesLibres, KrinEin, eLittérature, LeMague, MoutonRebelle, DiscussingBooks, Valclair.
> Un très bon film qui traite d’une problématique identique : Samsara de Nalin Pan, portrait d’un jeune moine bouddhiste écartelé entre ses aspirations spirituelles et ses contraintes d’être humain.

08/11/2005

Extension du Domaine de la Lutte

Socio-Economie de la Relation Humaine

Comme l’a très bien montré Michel Houellebecq dans ses romans, le monde occidental a radicalement changé d’orientation au niveau des rapports humains.

On était, jusqu’au milieu du 20-ième siècle, dans un système relationnel relativement artisanal, patriarcal, dont le but était de créer une famille dans l’intérêt du clan. On prenait son temps (engagement, fiançailles puis mariage).
Pour ceux qui étaient exclus ou insatisfaits du système, le substitut en était la prostitution (bordels institutionnalisés) ou l’adultère (séparation des fonctions entre l’être aimé et le conjoint) [1].
Ce système était en phase avec une économie dirigée, paternaliste, colonialiste, où l’emploi était souvent à vie dans la même région et la même entreprise.

On est passé depuis à une économie de marché basée sur la consommation de masse, le libre-échange, l’ouverture des frontières, la loi de l’offre et de la demande, une précarité plus grande de l’emploi.
Dans le domaine relationnel, la liberté prévaut (ce ne sont plus les parents qui choisissent le conjoint) et la norme est désormais de vivre avec l’être aimé.
La libération sexuelle des années 1960-70 est passée par là, et l'échangisme a remplacé la prostitution. En France, les maisons closes sont d'ailleurs devenues illégales en 1946 (Loi Marthe Richard) et la prostitution est régulièrement combattue, même si elle ne peut évidemment être éradiquée.
Les effets secondaires sont néanmoins les mêmes dans les 2 cas.
L’augmentation du volume permet une augmentation du profit global, mais le profit individuel est souvent plus réduit (diminution des marges).
La rapidité des échanges implique qu’on se trompe plus souvent (pas le temps d’être sûr avant de s’engager).
Afin de permettre la fluidité du système, le turn-over et la mobilité doivent être importants (c’est le seul moyen d’adapter l’offre et la demande). On remplace une gestion de stocks par une gestion à flux tendus.
Il y a baisse globale de la qualité (on ne construit plus pour durer éternellement) et accroissement de l’obsolescence des produits (divorces et déchets ménagers ou industriels sont très importants).
Pour ceux qui sont exclus ou insatisfaits du système, le substitut en est la pornographie (films X, Internet, …). La notion d’adultère devient vide de sens, car le mariage a tendance à disparaître et les divorces sont en augmentation constante, les couples se faisant et défaisant très vite.
Avec Internet, on arrive au stade ultime où l’espace s’est étendu à toute la planète, alors que le temps d’une relation peut se contracter jusqu’au minimum possible.

Concernant la situation de la femme, on est passé d’un statut de soumission (au père, au mari) à une réelle liberté théorique.
Cette évolution se rapproche de l’émancipation des 'nègres', après les lois anti-esclavagistes de la fin du 19-ième siècle.
Le problème est que la Liberté n’est pas une notion innée. Elle demande un apprentissage et se construit pendant l’enfance, en reproduisant les modèles sociaux en vigueur.
Dans beaucoup de cas, à cause d’une éducation inadaptée, les sujets se retrouvent incapables à vivre de façon réellement libre et indépendante.
C’est le 'syndrome de l’Oncle Tom', beaucoup de Noirs ayant continué à travailler comme domestiques ou journaliers pour leurs ‘maîtres’, faute de pouvoir concevoir un autre destin. De nos jours, il existe également de nombreuses femmes islamistes défendant leur soumission à leur seigneur et maître.
Sur le Net, je suis assez effaré de voir le nombre important de femmes qui recherchent encore un 'Prince Charmant, grand, protecteur' ou un 'Suggar Daddy généreux', préférant la sécurité de leurs chaînes à l’exercice d’un droit fondamental si chèrement acquis. N’est-ce qu’une mauvaise résolution du complexe d’Œdipe ? ou une vénalité bien comprise ?

Psychologiquement, les dégâts sont importants.
Les personnages houellebecquiens, issus des classes moyennes cultivées, sont écrasés par le quotidien, et sombrent dans la dépression et le suicide, quand ils ont eu la chance d'échapper à la maladie. Plus lucides que la moyenne, ils n'ont pas les moyens d'être dans le haut du panier, ni la ressource de se décerveler devant la télé ou dans les stades.

Le film de Philippe Harel est particulièrement fidèle à l'univers de l'auteur, et est à recommander à tout ceux qui ne supportent pas l'écrivain. Cela leur permettra de ne pas rater une des meilleures analyses de la société moderne jamais écrite ces dernières années, et les incitera peut-être à aller vers les bouquins [2][3][4].
C'est tout le bien qu'on peut leur souhaiter.

Note: 9/10

> Fiche Cinéfil

A (re)lire :
[1] ‘Histoire des Passions Françaises’ par Théodore Zeldin, historien britannique spécialiste de la vie sociale et sentimentale des français à la fin du 19-ième siècle (en 5 volumes).
[2] ‘Extension du Domaine de la Lutte’
[3] ‘Les particules élementaires’
[4] ‘Plateforme’

15/08/2005

Le Singe Nu (Naked Ape)

L’Homme descend du Singe (et vice-versa)

Une des avancées intéressantes de la Science depuis un siècle, a été de remettre l’Homme à sa place dans la 'Création'.
La théorie de l’Evolution de Darwin a été validée et approfondie. La Paléontologie et les analyses ADN ont permis de recréer un arbre généalogique réaliste concernant la filiation des primates et des hominidés.
L’Ethologie (science du comportement animal) a fait de grands progrès concernant les capacités intellectuelles des grands singes.
Certains travaux sur des chimpanzés ont notamment mis en évidence un QI équivalent à celui d’enfants de 5 ans, avec une faculté d’apprentissage importante (maîtrise du langage des sourds-muets, utilisation de machines cybernétiques à grosses touches ou de jeux vidéos avec joystick) ainsi que la capacité à créer de nouveaux mots (du genre ‘pomme’-‘orange’ pour désigner le fruit ‘orange’, ou ‘eau’-‘oiseau’ pour désigner un ‘cygne’) et celle de transmettre leurs acquis à leur progéniture (langage sourd-muet appris aux petits sans intervention de l’homme).

Paradoxalement, ces résultats ont peu souvent servis à analyser le comportement humain.
C’est ce qu’a fait le zoologue Desmond Morris, en 1967-71, dans 3 bouquins (*) qui ont fait sensation à l’époque, mais semblent un peu oubliés depuis.
Quand 99% du code génétique de l’homme et du chimpanzé est commun (d’après les analyses de l’Université d'Etat Wayne à Detroit), il est évident que les comportements de base doivent être très semblables.
Desmond Morris compare donc les hommes aux singes évolués pour mettre en évidence les comportements ‘innés’, ainsi que les réponses stockées au fond de notre cerveau primitif.
Il montre, avec un humour très anglais, comment notre relation avec les autres dépend de notre héritage simiesque, et comment certaines réactions d’amour, haine, peur, dépendance, séduction, … se retrouvent de façon identique chez nos lointains cousins des forêts africaines.

Au final, ces 3 volumes permettent une approche différente et très instructive de la psychologie humaine, trop souvent monopolisée par des spécialistes auto-proclamés (théoriciens du 'psy' ou religieux anthropocentristes).

(*) :
‘Le Singe Nu’ (‘Naked Ape’, 1967) analyse le comportement simiesque de l’individu humain
‘Le Zoo Humain‘ (‘The Human Zoo’, 1969) analyse la vie sociale de l’animal humain
‘Le Couple Nu’ (‘Intimate Behaviour’, 1971) analyse les mœurs sexuelles humaines

PS : les "zob-sédés" pourront sauter directement au 3-ième volume qui contient les pages les plus croustillantes.

Pour les autres, quelques sites web présentant les dernières recherches sur l’intelligence des grands singes :
- http://www2.gsu.edu/~wwwlrc/history.htm (le bonobo Kanzi à l’université de Georgie, Atlanta)
- http://www.friendsofwashoe.org/ (la chimpanzé Washoe à l’université de Washington)
- http://www.gorilla.org/ (la gorille Koko à la Gorilla Foundation)