17/11/2006
May B, de Maguy Marin
Poupées d’Argile, Poupées de Sons.
Sur scène, 10 personnages sortis des mains de leur Créateur, après une genèse qui démarre dans l’obscurité.
Ils ne sont pas encore mûrs, ils râlent, grognent, crient. Ce sont des 'primitifs', réagissants en groupe aux rythmes de musiques primaires, martiales ou commerciales. Pas d’individualités, ni d’individualismes. Ils semblent heureux.
Petit à petit, ils évoluent et s’individualisent. Les groupes se scindent, puis se fragmentent en couples. Des rivalités naissent. Des conflits éclatent. Des rapports de domination s’installent. La richesse commune devient un gâteau inégalement réparti. Les minorités sont condamnées à partir, là où croient-elles l’herbe est plus verte. Des frontières sont passées avec de maigres valises. Le groupe de migrants s’étiole au fur et à mesure des tentations et des mauvaises rencontres jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un individu, tout seul, ayant perdu tout ce qui faisait le bonheur de la communauté humaine du départ. Triste destin de cette créature pourtant si bien dotée.
Toute ressemblance avec un peuple passé du jardin d’Eden aux camps de la Shoah, n’est évidemment pas fortuite. On y pourra également y voir de façon plus moderne le destin de populations émigrées passés de l’autonomie aux cités ghetto via de troubles épisodes coloniaux.
Le théâtre de Beckett n’est pas parmi les plus hilarants. Adapter son univers de silence, d’obscurité et d’immobilité, sous forme de pièce dansée n’était pas non plus particulièrement évident. "May B" (que Beckett soit ?) est donc un objet assez improbable, mais singulièrement réussi. Croisement incongru entre la danse, le mime et le théâtre, il démarre sous forme de chorus endiablé pour finir dans la tragédie existentialiste la plus noire. La musique omniprésente y a le même rôle que les fils qui manipulent les marionnettes [1]. C’est elle qui impulse le rythme, règle les chorégraphies, définit l’humeur (the 'mood') du moment.
Œuvre culte en avance sur son temps, "May B" fut largement incomprise et mal-aimée à sa création (1981). Mais elle est maintenant régulièrement remise sur scène, et permet souvent à la compagnie Maguy Marin de financer ses nouveaux projets. Elle est reprise cette année à l’occasion du "Festival Paris Beckett", organisé à l’occasion du 100-ième anniversaire de la naissance du dramaturge franco-irlandais. Pendant un an, de septembre 2006 à mai 2007, l’ensemble du répertoire dramatique du Prix Nobel 1969 fera l’objet de manifestations dans toutes les disciplines artistiques. L'occasion de revisiter l'ensemble d'une œuvre sur la fin d’un monde [2], où les mots sont rares, mais qui donne la parole aux sans-voix.
[1] C’est encore plus évident en anglais, 'strings' désignant à la fois les cordes des instruments de musique, et les fils des marionnettes.
[2] "La Fin. C’est la Fin. C’est peut-être la Fin" ("May B").
Compléments :
> "May B" au Théatre de la Ville de Paris en 2006.
> Le spectacle sur le site de la Compagnie Maguy Marin.
> Les critiques de LesEchos, LeMonde, LeFigaro.
> Sur les Blogs: J-LB Journal , NicolasDambre, Clochettes, CourOuJardin.
> Le programme du Festival Paris Beckett (en pdf).
> Citations de Beckett.
20:00 Publié dans Actualité, Sur les Planches | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Culture, Danse, Théatre, Beckett, Maguy Marin | Imprimer
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