21/01/2007
Les Géants de la Montagne, de Luigi Pirandello
L’Oeil du Maître.
"Les Géants de la Montagne" est la dernière pièce, inachevée, de Pirandello. Laurent Laffargue a choisi de ne jouer que les 3 premiers actes de la main du maître, à l’exclusion du dernier acte rajouté par son fils après sa mort. Cela entraîne une fin un peu abrupte (Ilse seule devant un rideau blanc brutalement baissé derrière elle), mais l’ensemble forme un tout cohérent qui se suffit à lui-même (près de 2h de représentation tout de même).
Très bonne mise en scène, excellents premiers rôles (Hervé Pierre, Océane Mozas), seconds rôles un peu moins marquants (mais peu de texte à dire), on ne voit en tout cas pas le temps passer.
Comme dans "6 Personnages en Quête d’Auteurs", le théâtre est le sujet et l’objet apparent de la pièce. Une troupe de comédiens itinérants, au bout du rouleau, arrive dans la villa du magicien Coltrone, à la recherche d’un public qui se dérobe sous eux. L’action se passe dans une villa abandonnée, loin de la ville et proche des montagnes où les anciens faisaient vivre les cyclopes et certains dieux de l’Olympe.
Dans ce contexte, chaque acteur est à la fois lui-même, son personnage et la représentation de celui-ci, ce qui donne lieu à une superbe scénographie à base de masques, de pantins, de personnages démultipliés. On retrouve là les origines siciliennes de Pirandello, certainement influencé par le théâtre de marionnettes local.
La pièce est l’occasion de confronter 2 points de vue différents. Celui des acteurs, devenus saltimbanques, ne vivant que pour leur Art sans compromission envisageable, mais toujours à la recherche des honneurs. Et celui de la bande de Coltrone, pour qui l’Art se suffit à lui-même, et préfère vivre retiré du monde dans une Utopie réaliste, quitte à flatter quelques puissants pour assurer sa tranquillité.
Vaut-il mieux essayer de convaincre les autres en leur assénant un discours militant qu’ils ne sont pas capables de comprendre, ou vaut-il mieux approfondir sa perception du réel en s’isolant des futilités de la vie quotidienne ? Dans les 2 cas, on a une conception assez religieuse du rôle de l’artiste dans la société. L’Art est un sacerdoce, que l’on choisisse la prédication ou le monastère. Pour appréhender le Tout, il faut savoir ne s’attacher à Rien.
L’acteur est un chamane, un passeur entre le monde des esprits et le monde des vivants. Il est habité par son personnage, et celui-ci, comme les fantômes, les dieux et les anges, n’est vivant que parce qu’il existe une audience qui y croit.
Dans le contexte des années 30, où la technologie supplante le merveilleux, et où les fascismes remplacent les démocraties, la pièce est aussi une interrogation sur la survivance de l’esprit face à la stupidité de la force brute symbolisée par les géants cyclopéens. Pirandello semble espérer en la possibilité de réveiller les consciences et de réintroduire par le théâtre une intelligence dans le corps des géants. La villa de Coltrone, conservatoire des Arts et de la Pensée humaine est alors le monastère moyenâgeux d’où une 'Renaissance' sera possible. Mort en 1936, Pirandello n’aura évidemment pas vu les bouleversements du siècle passé. Mais son message sur le rôle de l’artiste se doit de rester le même, n’en déplaise aux nouveaux industriels de la communication.
Compléments :
> "Les Géants de la Montagne" au Théatre de la Ville de Paris en 2006.
> Les critiques de LeSouffleur, LeMonde, LeFigaro, LeFigaroscope.
> Sur les Blogs: EnMargeDuThéatre , UnSoirOuUnAutre.
> Citations de Pirandello.
20:00 Publié dans Actualité, Sur les Planches | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Culture, Théatre, Pirandello | Imprimer