13/02/2010
Alexandra David-Néel "Mon Tibet", de Michel Lengliney
Le Dragon et la Tortue.
En 1997, Jean-Jacques Annaud et Brad Pitt avaient permis de faire connaître au grand public le destin extraordinaire d'Heinrich Harrer, qui avait passé "7 ans au Tibet" auprès du Dalaï Lama.
Il est un personnage tout aussi important dans l'histoire de la région, qui mériterait d'être le sujet d'un grand film d'aventures.
En 1924, Alexandra David-Néel (1868-1969) avait été la première occidentale à atteindre Lhassa, alors totalement interdite aux étrangers.
Femme aux vies multiples, A.D-N avait entamé à 43 ans une carrière d'exploratrice en Asie, avoir été, entre autres, suffragette anarchiste en Europe et chanteuse lyrique à l'opéra de Hanoï.
"Mon Tibet" se déroule pendant les 10 dernières années de sa vie, à l'occasion de 3 moments clés : l'arrivée de Marie-Madeleine Peyronnet (29 ans en 1959), la situation 7 ans après, et la dernière année d'A.D-N à Samten Dzong.
Un auteur pas très connu et une petite salle de Montparnasse pouvaient faire craindre à une pièce de seconde zone. La renommée des 2 actrices laissait cependant augurer de quelque chose d'intéressant, et le bouche à oreille commençait déjà à alimenter un buzz très élogieux.
Hélène Vincent (un César pour "La Vie est un Long Fleuve tranquille") et Emilie Dequenne (Prix d'interprétation à Cannes pour "Rosetta") sont complètement dans la peau de leurs personnages. L'évolution de M-M.P, qui s'affirme progressivement, professionnellement et humainement, face au Dragon qu'est A.D-N est particulièrement bien rendu. Le 'pitch' est en partie celui de "Tatie Danielle", en beaucoup plus drôle, plus émouvant et plus intéressant sur le plan historique.
Les bons mots et les vacheries fusent, rythmant les souvenirs des pérégrinations passées et les problèmes liés au grand âge. Les connaisseurs de l'oeuvre d'A.D-N se retrouveront en terrain connu, mais les autres trouveront également beaucoup d'intérêt à cette confrontation entre 2 femmes que pratiquement tout oppose, sauf leurs caractères aussi affirmés d'un côté comme de l'autre.
La mise en scène est également particulièrement efficace, sans temps morts, et sachant jouer aussi bien avec l'avant-scène qu'avec les éléments du capharnaüm disséminé sur le plateau.
La pièce est relativement courte et ne présente que quelques faits représentatifs de la vie des 2 femmes. Ça pourra sembler trop court à ceux qui connaissent en détail les tribulations d'Alexandra ou le travail impressionnant de M-M.P à la tête de la Fondation Alexandra David-Néel.
Mais l'essentiel est là, mettant bien en valeur la psychologie des personnages, et l'ensemble dégage une émotion palpable, mesurable aux applaudissement fournis accompagnants les nombreux rappels.
Reste le mystère impénétrable de la vie d'A.D-N. Elle était devenue une des meilleures connaisseuses occidentales du Bouddhisme. Elle fut ordonnée lama après avoir suivi tout le cursus nécessaire (y compris une retraite dans une grotte du Sikkim, ravitaillée 2 fois par an). Elle pouvait discuter d'égale à égal avec les plus grandes sommités intellectuelles du bouddhisme tibétain de l'époque.
Pourtant, elle fut incapable de juguler son Ego et, jusqu'à la fin, fut autoritaire, égoïste, cassante, blessante, incapable d'être en harmonie avec son entourage, persécutant la seule personne capable de la supporter.
Comme dans la fable, c'est la "Tortue" qui a gagné la course, en se révélant finalement plus bouddhiste que sa compagne de route partie avant elle.
Note: 9/10
Compléments :
> "Dix ans avec Alexandra David-Néel" de Marie-Madeleine Peyronnet.
> Le documentaire "Alexandra David-Néel: du Sikkim au Tibet Interdit" (1992) qui suit Marie-Madeleine Peyronnet au Sikkim dans le monastère où Alexandra David-Néel avait fait une retraite.
> Les avis de Webthea, LaBoiteASorties, Theatrothèque, Les3Coups, Theatrorama, Theatrauteur, FroggysDelight, Critikator, Tinou.
Alexandra David Néel racontée
envoyé par Be-Noot.
20:00 Publié dans Destins, Sur les Planches | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : sikkim, tibet, asie, bouddhisme, dragon, david-néel | Imprimer