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21/03/2006

Le Soleil (Solntse)

Le Crépuscule d’un Dieu, la Renaissance d’un Homme.

Singulier destin que celui de l’empereur HiroHito. Véritable dieu vivant, car descendant de la déesse du soleil Amaterasu, il est isolé du commun des mortels par le protocole, comme l’était également Pu Yi, "le dernier Empereur" chinois.
Théoriquement chef de l’état japonais, il n’est en fait que la marionnette et la caution morale du pouvoir militaro-industriel qui a remplacé dans ce rôle le Shogunat des ères précédentes.
Complètement infantilisé, il passe son temps à composer de mauvais poèmes, s’intéresse à la biologie marine (comme Louis XVI à la serrurerie) d’une façon beaucoup plus poétique que scientifique, perdu dans son petit monde clos très éloigné des réalités extérieures.
A la fin de la guerre, comme Hitler dans son bunker, il se remémore les années passées, mais plus lucide que ce dernier, comprend bien que le Monde a changé et qu’il doit changer avec lui. Sa renonciation à une ascendance divine est pour lui une nouvelle naissance, qui l’oblige à apprendre tous ces petits riens (ouvertures de portes, déshabillage, cigarettes, cognac, …) qui font le quotidien d’un être humain ordinaire, mais qui lui étaient refusé jusqu’à présent.

La reconstitution de Sokourov est extrêmement minutieuse, très respectueuse des identités socio-culturelles japonaises et américaines. Quand l’empereur revoit pour la première fois sa femme, qui avait été éloigné à la campagne, il lui serre longuement les mains en signe d’affection. Rien à voir avec "Mémoires d’une Geisha", où dans une situation similaire, l’héroïne embrasse à pleine bouche l’homme de sa vie.
Issey Ogata est également excellent dans son interprétation d’HiroHito, de sa gaucherie, de ses tics et défauts de prononciations.

La confrontation entre japonais pétris de traditions et américains sans gène, donne lieu à des moments assez cocasses, mais symptomatiques des 2 conceptions du monde qui s’affrontent. En face de la simplicité enfantine de l’empereur, on devine également déjà la soif de pouvoir de MacArthur, qui s’affirme dans son goût du luxe et ses remarques arrogantes. On notera également le rappel que la prise du pouvoir par les militaires japonais dans les années 20 a fait suite à des lois américaines discriminatoires (le "Johnson Act" de 1924) envers les japonais. Les Etats-Unis ont toujours eu plus de facilités à déployer leurs armées qu'à favoriser la démocratie.

Note: 8/10

Compléments :
> Le Japon de 1895 à 1932 et de 1932 à 1945.
> Fiche Cinefil.
> Le site du film.
> Critiques sur "CommeAuCinéma", "LePetitJournal", "Nihon", "Télérama", "AvoirAlire", "Canoe", "Voir", "ChoqFm", "Fluctuat".
> Sur les blogs: "SebInParis", "Miklos", "LeUhlan", "IdeaEntertainment".

Addendum: réponse au commentaire de Transhumain
Merci de ce commentaire qui va me permettre de préciser quelques points importants.
Ce film traite en effet de 'la vision d’un monde ancien agonisant' (le Japon d'avant-guerre), mais il ne semble que ni Sokourov, ni moi n’avons sombré dans un excès d’angélisme!
Quand je compare HiroHito à Hitler, ce n’est pas innocent. De même pour Sokourov, ce film étant le troisième d’une série consacrée à Lénine ("Taurus") et Hitler ("Moloch"). Mais HiroHito, au contraire de ces deux là, a eu l’intelligence de se remettre en cause et d’évoluer, offrant la paix et la démocratie à son peuple. Ce n’est pas rien.
Le gros problème avec HiroHito est qu’il est difficile d’établir une vérité historique absolue. Son entourage ne pouvant concevoir de dénoncer un dieu s’est abstenu de parler, ou a endossé la responsabilité de ses éventuelles actions répréhensibles. Il n’est donc pas certain qu’il ait tout cautionné, même s’il devait sans doute être au courant de beaucoup de choses. MacArthur et les américains, ayant besoin de lui, se sont chargés de faire disparaître toutes traces compromettantes et ont même collaboré avec les ultra-nationalistes pour financer leurs luttes contre le communisme (Cf. "L’Opération Lys d’Or" sur VoltaireNet). Et sans preuves, tout accusé doit être considéré comme innocent. Sinon, nous rentrons dans l’arbitraire propre à toute dictature.
Il est également important de rappeler qu’il y a au Japon une longue tradition de dissociation entre le pouvoir symbolique (l’empereur) et le pouvoir réel (les clans militaires). Il n’y a que pendant l’ère Meiji que l’empereur a réussi à gouverner vraiment à la faveur de l’occidentalisation du pays.
Par ailleurs, par définition, un dieu est au-dessus des hommes, de leur morale, de leur justice, de leur désir de pureté. Et HiroHito, en tant que descendant de Amaterasu, était réellement considéré comme un dieu et non comme un homme, ce que montre très bien Sokourov. Cela n’empêche pas un comportement infantile et autiste (et donc 'irresponsable'), favorisé par un isolement quasi complet du monde réel. Les diverses mythologies sont remplies de dieux tout puissants qui s’amusent aux dépends des hommes, considérés comme des jouets.
Je n’ai pas dit non plus que les américains étaient des 'occidentaux décadents'. La décadence est un travers de civilisations plutôt anciennes. Si les agissements américains peuvent être condamnables, c’est au contraire parce qu’ils sont des 'barbares' (au sens gréco-romain du terme), c'est-à-dire un peuple à la civilisation trop récente pour avoir appris les bonnes manières. C’est ce que montre Sokourov avec l’intervention des journalistes dans les jardins du palais.
Ce film n’est donc pas 'une vision fantasmée', mais traite de l’aspect psychologique d’un dieu conduit à (re)devenir un homme, et à grandir (se grandir) en faisant l’apprentissage d’une vie humaine, en particulier une vie familiale normale avec femme et enfants. Quand aux problèmes liés à la responsabilité des exactions japonaises en Extrême-Orient (*), qui mériteraient certainement un film grand public à eux tout seuls, ils ne sont pas l’objet de celui-là.

(*) A ce sujet, voir l'excellente série documentaire intitulée "L'Asie en Flammes", ainsi que "Les Démons à ma Porte" du chinois Jiang Wen (2000).

11/03/2006

Mémoires d’une Geisha (Memoirs of a Geisha)

Des 'maisons des fleurs' … artificielles.

Après "Le Dernier Samouraï", Hollywood continue d’exploiter le filon exotique et nous propose une 'distraction' sur le thème des Geishas.
Si ceux qui ne connaissent rien au Japon, pourront y trouver de quoi satisfaire leur curiosité, les autres risquent d’être un peu déçu d’y voir un remake oriental de films comme "A star is Born" ou "The Rose".

"La petite Chiyo, né dans un milieu pauvre, finira à force de travail et grâce à sa bonne étoile, à devenir une star adulée et trouvera l’amour auprès d’un riche industriel, malgré les embûches qui ne cessent de se dresser sur son chemin." (C’est beau comme du Barbara Cartland!)

Certes, les costumes et les décors sont superbes, malgré le tournage en studio, les actrices crédibles malgré leurs origines chinoises, mais le scénariste a pris de grandes libertés avec la réalité japonaise du début du 20-ième siècle pour la faire coller au goût américain, et ça se voit malheureusement un peu trop.

Personnellement, 2 scènes m’ont choqué.
La première se passe dans un théâtre. Sayuki se comporte alors comme une star de Broadway (Rob Marshall devait encore se croire dans "Chicago"), et finit avec des mouvements désordonnés (sur fond de musique presque techno), dans un style absolument contraire à tout ce que représentent les Geishas, gardiennes des traditions musicales et artistiques du Japon.
La deuxième est ce 'happy end' typiquement hollywoodien, où Sayuki finit dans les bras de son PDG adoré et l’embrasse à pleine bouche !
Il ne faut vraiment pas connaître le Japon, et pas avoir vu beaucoup de films japonais pour avoir imaginé 2 scènes pareilles, totalement contraires à l’esprit japonais traditionnel, ou l’on différencie totalement ce qu’on ressent et ce qu’on montre.

A voir uniquement pour les images donc. Pour mieux connaître les Geishas, on verra plutôt les films de Kenzi Mizoguchi ("Les Musiciens de Gion", "La Fête à Gion", …) et on lira les mémoires de véritables geishas.

Note : 6/10

Compléments :
> "Geisha": le 'best-seller' contreversé de Arthur Golden, dont est tiré le film.
> On lui préfèrera "Mémoires d’une Geisha" de Yasushi Inoué, ou "Ma vie de Geisha" de Meneko Iwasaki, nettement plus authentiques.
> Une critique très détaillée (et un peu excessive) de "Cinémasie".
> Autres critiques intéressantes sur "Fluctuat", "Excessif", "Arte", "LesEchos", "FilmDeCulte".
> Sur les blogs: "Krinen", "CinéQuaNon", "CriticsOnline", "IdeaEntertainment".

19/02/2006

Le Nouveau Monde (The New World)

Le Paradis Perdu de Pocahontas

Encore un superbe film de Terrence Malick, aussi sensitif et habité que "The Thin Red Line". Comme beaucoup d'européens, je ne connaissais que vaguement la légende de Pocahontas, pourtant un des mythes fondateurs des USA, n’ayant même pas vu le dessin animé de chez Disney.
J’ai été ébloui. On retrouve dans cette histoire tout le tragique des amours d’Hélène et Pâris [1], ou celui des "Dames du Lac" de Marion Zimmer Bradley [2] qui conte la fin de la civilisation druidique britannique colonisée par le christianisme médiéval romain.
Le monde indien est une civilisation chamanique basée sur le respect de la Nature, du rythme des saisons, où règne une vraie harmonie entre les hommes et les autres occupants de l’Univers. En cela, il s’oppose totalement aux valeurs occidentales où les techniques, les conventions, la soif du profit sans limites, l’intolérance religieuse conduisent à la pollution de l’environnement, aux conflits de personnes, à l’exploitation systématique d’autrui. Cela est bien montré dans le film par les chercheurs d’or mourant de faim, la disparition des poissons, le cannibalisme, les rebellions continuelles, les terres dénudées, le fort boueux et insalubre, les maladies causées par cet environnement malsain.
Le film prend principalement le point de vue de Pocahontas, depuis l’arrivée des bateaux jusqu’à la découverte de la cour du roi James, des maisons de pierre et des jardins 'à la française'. Elle est la victime innocente de ce choc des cultures, trompée par ses sentiments, incapable d’imaginer le double langage de John Smith, aventurier aventureux pour qui la fuite en avant est une seconde nature, et incapable d’apprécier le bonheur quand il se présente à lui.
Pocahontas, comme "Mme Butterfly" de Puccini quelques siècles plus tard, finit littéralement tuée par l’occident, la maladie qui l’emporte mais aussi et surtout l’impossibilité de s’accorder à un monde dont les valeurs ne sont pas les siennes. L’Amour dans ce contexte n’est fait que d’incompréhensions mutuelles, que ce soit avec John Smith ou avec John Rolfe, et est voué à l’échec malgré le désir commun et les concessions réciproques.
L’échec de cet amour est aussi celui de l’Utopie, celui de créer une société nouvelle débarrassée de ses défauts, telle que la rêve John Smith en débarquant en Virginie.
Comme Adam et Eve croquant la pomme, Pocahontas et John Smith inaugurent aussi malgré eux une ère de violence, de trahisons et de douleurs [3] et contribuent à la fin du paradis originel [4].
Exit donc le rêve d’une nation métisse dont ils auraient été les fondateurs, les héros trop immatures n’étant pas à même d’endosser le poids de l’Histoire, et début du génocide de la nation indienne repoussée toujours plus loin par le fer et le feu [5].
Le film retranscrit très bien cela, avec un rythme lent, s’arrêtant sur chaque brin d’herbe, nous laissant savourer le chant des oiseaux, le glougloutement de l’eau ou le bruissement du vent dans les branches. Peu de dialogues, majoritairement intérieurs, mais les hésitations, les silences et les expressions des corps et des visages sont souvent plus parlants que bien des scénarios bavards. Q’Orianka Kilcher (15 ans!) notamment, illumine l’écran de sa présence.
A voir donc par tous ceux qui ne sont pas allergiques à un cinéma méditatif, à mille lieux des films 'historiques' habituels (comme le médiocre "1492" de Ridley Scott, par exemple).

Note: 8/10

Compléments :
> Fiche Cinéfil.
> Le site du film (vf).
> Rappels historiques: Pocahontas et les indiens de Virginie.
> Les critiques quasi-unanimes de Critikat, Excessif, CommeAuCinéma, Fluctuat, FilmDeCulte, Ecran Large, LeMonde, Cronic’art, Mulderville.
> Sur les blogs: CriticsOnline et SebInParis.

Connexions :
[1] à voir et lire: "La Guerre de Troie n’aura pas lieu" de Giraudoux sur le poids du destin, et l’impossibilité pour quelques individus de s’opposer à une catastrophe annoncée.
[2] voir également "Les Brumes d’Avalon" très bonne adaptation faite par TNT et disponible en DVD.
[3] sur la violence à l’origine de la société américaine moderne, voir "Bowling for Columbine" de Michael Moore, "Gangs of New York" de Martin Scorcese ou "A History of Violence" de David Cronenberg.
[4] Cf. "Le Paradis Perdu" de John Milton, traduit par Chateaubriand.
[5] Cf. "Le Dernier des Mohicans" d'après Fenimore Cooper.

04/02/2006

A & C, de Lewis Furey

Antoine et Cléopâtre : Orient vs Occident

Lewis Furey, c’est le compositeur et compagnon de Carole Laure, le metteur en scène de "Starmania".
"A & C", c’est "Antoine et Cléopâtre" de Shakespeare, repris en version 'théatre musical'.
Autant le dire tout de suite, le résultat n’est qu’à moitié satisfaisant. Si les comédiens/chanteurs/danseurs/musiciens sont particulièrement bons, si le choix des scènes extraites de la pièce originale permet d’avoir une intrigue assez complète et cohérente (mise à part la sous-intrigue des pirates, sans intérêt), il y a néanmoins de grosses lacunes du côté de la chorégraphie et du livret musical. Les paroles et musiques de Lewis Furey, sans être inintéressantes sont quand même loin de la grandeur tragique que le sujet réclamait. Le texte frôle quelquefois le ridicule, plus proche de la presse 'people' que d’une revue politico-stratégique.

Antoine et Cléopâtre, c’est quand même d’abord et avant tout une tragédie. Un conflit amoureux où les protagonistes accumulent les scènes de ménage. Une histoire d’adultères où les affaires privées se confondent avec les affaires publiques. L’honneur bafoué des épouses successives et de leurs familles se répercute sur celui de Rome toute entière.

Antoine et Cléopâtre, c’est aussi et surtout un choc culturel immémorial entre l’Orient et l’Occident. Une incompréhension mutuelle entre 2 modes de vie et de pensée difficilement compatibles. D’un côté l’Ouest: rationnel, logique, réfléchi, légaliste, rigoureux, simplificateur, … De l’autre l’Orient: irrationnel, intuitif, émotionnel, permissif, passionné, complexe, extravagant, sensuel, …
Cet antagonisme nous a également donné les conflits gréco-perses, les guerres puniques, l'éclatement de l’empire romain, les schismes entre catholiques et orthodoxes, la Guerre Froide, sans compter tous les conflits actuels au Proche-Orient.
Ce sujet méritait donc un peu plus que ce que Lewis Furey nous en a donné.

Note : 6/10

Compléments :
> Au Théâtre de la Ville (Paris) du 31/01 au 04/02/2006, plus une tournée en Province.
> Un bon point de vue québécois sur "MonThéatre".
> La critique mordante de "Radio Canada".
> Les réactions parisiennes ambiguës, vues du Québec sur "Canoe".

05/08/2005

Le Destin

Ombres et Lumières à la veille de la Renaissance occidentale

« La pensée a des ailes, nul ne peut arrêter son envol ».

En ces temps d’intolérance patriotique et religieuse, il est parfois bon de revenir sur notre passé.
C’est ce que fait dans certains de ses films Youssef Chahine, cinéaste égyptien francophone, né dans le creuset cosmopolite qu’est Alexandrie, et parfois interdit par les censures islamistes ou gouvernementales.

Dans "Le Destin" (1997), il reconstitue une tranche de vie du philosophe, juge et médecin Averroès (1126-1198), un des plus grands penseurs du 12-ième siècle, commentateur de l’œuvre d’Aristote, sage, érudit, généreux, bon vivant.
Formaté comme une comédie musicale de style 'Bollywood', le film profite des intermèdes dansés et chantés pour souligner ce côté chaleureux et humain du personnage.

L’action se passe en Andalousie, riche province de l’empire almohade (où cohabitent paisiblement musulmans, juifs, chrétiens, gitans), à une époque où les royaumes catholiques nord-européens vivent dans la crasse, l’ignorance et la misère.
Une période où les bûchers se multiplient pour éliminer les ‘hérétiques’ coupables d’avoir professé des idées contraires aux dogmes du Vatican.

C’est un film grave, où obscurantistes de tout poil (Inquisition ou groupes islamistes) font tout pour subvertir les consciences, et pour éliminer toute opposition rationnelle via les mouvements de foules et les autodafés.
C’est l’occasion de montrer comment un jeune homme moralement faible et désœuvré, vivant sans perspectives d’avenir, peut se faire endoctriner par des intégristes prêts à tout pour prendre le pouvoir.

Dans ce contexte, Averroès, tel Gandhi ou Martin Luther King, prône l’amour du prochain, la tolérance et le partage, seules solutions pour une coexistence pacifique et mutuellement enrichissante.
Pour lui, philosophe des lumières avant la lettre, la connaissance universelle, la science, les arts sont un remède à la haine, le rigorisme, le fanatisme, l’obscurantisme.
Il refuse le fatalisme, et enseigne que chacun peut être maître de sa destinée, en forgeant son caractère et sa morale aux feux de la connaissance.

En bref, un film moderne, entraînant, réaliste, militant, qui bien que n’étant pas non plus une parfaite reconstitution historique, est assez loin des clichés véhiculés dans le "Kingdom of Heaven" de Ridley Scott (ah! ces arabes qui apprennent des occidentaux comment creuser un puit, ça m‘a fait beaucoup rire).

> Fiche Cinéfil