03/01/2008
XXY de Lucia Puenzo
D'un Genre à l'Autre, ou Entre les Deux ?.
Un chromosome en plus peut changer bien des choses. Si l'homme (XY) ou la femme (XX) peuvent être considérés comme incomplets (de nombreux gênes sont manquants ou ne peuvent s'exprimer), que doit-on penser des individus possédant l'ensemble du code génétique humain ? Sont-ils des monstres de foire, à rejeter au nom d'une 'normalité' assez sujette à caution, ou l'expression de l'être humain idéal tel que le concevait Platon dans "Le Banquet" ?
Alex ne se pose pas ces questions. Elevée comme une fille, et traitée médicalement pour éviter toute manifestation de masculinité excessive, elle a été toujours protégée par ses parents qui se sont isolés loin de toute curiosité malsaine. Mais à l’âge où la puberté commence à se faire sentir, il est évident qu’Alex ne pourra pas éternellement rester à l’écart d’une remise en question qui frappe tous les adolescent(es) de son entourage.
Ce film est vraiment intéressant, car si la question de l’homosexualité, du travestissement ou du transgenre, a été plus ou moins souvent mise à l’écran dans le passé, c’est à ma connaissance la première fois que le sujet de l’hermaphrodisme est évoqué au cinéma.
Dans ce cas, il ne s’agit d’ailleurs pas de la forme finalement banale du syndrome de Klinefelter (1 naissance sur 700 !, dont des sportifs célèbres) dans laquelle les organes sexuels sont masculins, bien que peu développés, mais plutôt d’une vraie forme d’hermaphrodisme avec une apparence sexuelle complètement féminine, à l’exception d’un clitoris exagérément masculin.
La question essentielle devient alors de savoir s’il est possible de vivre sa vie sans avoir à renoncer à une partie de soi-même (c'est-à-dire une forme de castration). A la différence d’un homosexuel qui ne fait qu’adopter un comportement opposé à celui que la société considère comme normal pour ses chromosomes, l’hermaphrodite possède au niveau génétique les caractéristiques des 2 sexes. Hormonalement et psychologiquement (même si Freud n’avait pas envisagé le cas), il est soumis à des influences qui ne peuvent que le différencier du reste de l’Humanité. Difficile en tous cas pour lui/elle de vivre dans un monde binaire (M/F) où rien n’est prévu, ni envisagé pour ce qui correspond à un vrai troisième sexe [1].
Intelligemment, "XXY" rappelle quand même que les mammifères ne sont pas la référence absolue de la Nature, et que de nombreuses espèces végétales et animales (reptiles, amphibiens) connaissent une sexualité non booléenne. En faisant du père un biologiste spécialiste de ces questions, il en fait un symbole de la Science éclairée opposé à l’utilitarisme conformiste du chirurgien esthétique, dont le métier est de charcuter les corps [2] pour les obliger à se conformer à la vision idéale véhiculée par notre société.
Très bien filmé, avec des acteurs convaincants, sans pathos mais avec beaucoup de sensibilité ce film devrait réjouir tous ceux qui apprécient les film d’adolescents intelligents, les films libertaires, les films de réflexion identitaire en plus des cinéphiles amateurs d’un cinéma argentin en plein renouveau.
[1] D’ailleurs non représenté dans les mouvements LGBT ?!.
[2] Lifting, Rhinoplastie, Excision, Castration, … même logique normalisatrice.
Note : 9/10
Compléments :
> Le site du film.
> Le syndrome de Klinefelter.
> Le site de l'Organisation Internationale des Intersexués.
> Les critiques de CommeAuCinéma, Libération, LeMonde, Telerama, Excessif, Fluctuat, AVoirALire.
> Sur les blogs: CriticoBlog, Cinemaniac, TroughMyEyes, LieuxCommuns, Roomantic, Cinépark.
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22/12/2007
La Forêt de Mogari (Mogari no mori) de Naomi Kawase.
The Nara Chaman Project.
Primé à Cannes, "La Forêt de Mogari" est malheureusement assez représentatif des choix habituels des jurys. On sait que ça va être beau, bien joué, mais qu’on va s’y ennuyer mortellement. Les Palmes ont tendance à récompenser l’auteur plutôt que l’œuvre présentée. Le dernier film de Naomi Kawase ne déroge pas à la règle. C’est d’autant plus dommage que le précédent ("Shara") était un bon film, sachant ménager l’intérêt du spectateur tout au long de sa durée.
La première partie en est de toute beauté. La vision du vent soufflant dans les forêts et les rizières de la région de Nara est vraiment spectaculaire. Arriver à rendre visible un phénomène aussi immatériel montre bien la maîtrise technique de la réalisatrice (et de son équipe). Mais de belles images et une remarquable bande-son ne suffisent pas à faire un bon film.
Le film pêche beaucoup du côté du scénario et de la direction d’acteurs (inexistante).
Ça semble commencer comme une leçon zen sur le sens de la vie, avec un moine qui essaie quelques notions de base à des retraités très diminués mentalement, mais cette piste est rapidement abandonnée. La peinture impressionniste mélangeant et opposant la Ville et la Nature, les jardins et les plantations de thé, la multitude des personnages, suscite néanmoins l’intérêt, même si elle est assez peu développée, faute d’acteurs professionnels pour la soutenir.
Le problème est le ralentissement considérable de la narration qui étire pendant une (trop) longue seconde partie, une ballade en forêt assez artificielle, sur-jouée, aux trucages (débordement du torrent) mal faits, et aux intentions plutôt creuses. Le rythme trop elliptique du début a empêché de s’attacher aux personnages principaux. On a d’ailleurs du mal à comprendre comment ils sont passés d’une communication assez difficile à une telle complicité. Quand au message véhiculé, très animiste, il est en complète contradiction avec le discours bouddhiste du début.
"La Forêt de Mogari" est finalement assez emblématique du cinéma japonais actuel. Tombé dans le coma il y a quelques années, on espère toujours un signe y voir un signe de vitalité et de renouveau, mais on est finalement déçu du résultat. Mieux vaut se tourner vers le cinéma coréen, qui lorsqu’il traite les mêmes thèmes du deuil et de la rédemption ("Old Boy", "Samaria", "Secret Sunshine", …) se révèle autrement plus inventif et dynamique.
Note : 5/10
Compléments :
> Le site du film.
> Les critiques de OrientExtreme, CommeAuCinéma, Fluctuat, FilmDeCulte, Excessif.
> Sur les blogs: CriticoBlog, LeMeilleurDuCinéma, LesRosesDeDécembre, JournalD'UnExcessif, Benzine.
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08/12/2007
Retour à la Citadelle (Jean-Luc Lagarce) par François Rancillac
La Colonie Plénipotentiaire.
La ‘Cité’ est une colonie qui s’est implantée comme une grosse verrue sur le territoire d’un pays étranger, dont on ne connaît rien sinon qu’il est très loin de la métropole.
Il y a 30 ans, l’Ancien Gouverneur s’y est installé avec sa femme à la suite, semble-t-il, d’une erreur administrative ou d’une mauvaise blague d’un sous-secrétaire du Vice-Roi. Malgré les difficultés, l’éloignement de la Mère-Patrie, et l’absence de relations avec quiconque, la colonie s’est développée et perdure à la manière d’un Gibraltar, d’un Ceuta ou d’un Guantanamo.
Il y a 10 ans, un jeune homme révolté, issu d’un famille nombreuse et pauvre (elles le sont toutes, à part celles des dirigeants), a quitté le territoire sans espoir de retour et sans jamais donner de ses nouvelles.
Aujourd’hui il revient, muni d’une lettre de cachet l’intronisant comme étant le nouveau Gouverneur. Tous l’attendent (au tournant), essaient de se souvenir, craignent ses réactions et les conséquences de ses décisions. La politique de l’Etat central a-t-elle changé ? Vient-il pour condamner les excès de l’administration en place ? A-t-il été exilé dans un placard doré ? Où n’a-t-il simplement fait qu’intriguer pour prendre une place somme toute bien confortable, tout en continuant à perpétuer les injustices ?
C’est, en passant, une féroce dénonciation d’un colonialisme né sans raisons et se perpétuant sans but, de l’exploitation des masses par des dirigeants sans scrupules, uniquement occupés à se remplir les poches tout en proférant de grands discours dans lesquels ils se perdent eux-mêmes.
Aux anciens responsables imbus de leurs personnes, mais craignant pour leur fortune et leur avenir, et aux hauts fonctionnaires arrivistes et zélés, mais intellectuels ratés, répondent la famille et les prétendus anciens ‘meilleurs amis d’enfance’ qui cherchent à profiter des faveurs du nouveau pouvoir.
La mise en scène de François Rancillac reprend celle de 1990 [*], dans un décor de sable gris, entrecoupée de nombreux ‘fondus au noir’ et ‘mouvements de caméras’ tournants. On est loin de la version de Jean-Charles Mouveaux, présentée début 2007 au théâtre du Marais et critiquée à juste titre, qui en faisait une farce circassienne.
On est beaucoup plus dans la tradition de Beckett et de Kafka, questionnant notre humanité, soulignant les motifs d’incompréhensions mutuelles, les comportements dérisoires, le renoncement à vouloir améliorer le monde.
On se croirait lors du tournage d’une hagiographie officielle par une télé aux ordres, chacun étant invité à apporter tout à tour son témoignage élogieux en faveur du nouvel homme fort. Mais avec le temps qui passe et les bouteilles qui se vident lors du banquet officiel, les langues se délient et expriment en filigrane des vérités moins superficielles.
Alors, si le tempo est un peu lent et s’il ne se passe pas grand-chose sinon une succession de discours désenchantés, la pièce se révèle passionnante, excellemment servie par une brochette d’acteurs qui ont su en exprimer toute la dérision et la tendresse.
Une mention spéciale pour Olivier Achard, l’éminence grise à l’éloquence ampoulée, et pour Yves Graffey, le père que personne ne laisse parler et qui ne peut exprimer ses sentiments autrement que par des gestes plus ou moins refoulés.
[*] dans une version approuvée par Jean-Luc Lagarce, mort en 1995.
Note: 9/10
Compléments :
> Le spectacle sur le site du Théatre de la Ville.
> Le site consacré à l'année Jean-Luc Lagarce.
> Interview de François Rancillac sur France-Info.
> Les analyses et critiques de ThéâtreContemporain, Les3Coups, LaGestionDesSpectacles, LaTerrasse, Tadorne, InBlogWeTrust, BienCulturel, UnAirDeThéâtre.
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24/11/2007
Regarde Maman, Je Danse de Vanessa Van Durme
Histoire Ordinaire d'Une Femme Extra-Ordinaire.
Souvenirs de la vie quotidienne d’une femme malmenée par la vie (enfance difficile, premiers pas professionnels pitoyables, prostitution, mariage raté, …) qui s'interroge à l'orée de ses 60 ans.
Naissance laborieuse dans une famille flamande nombreuse et populaire, difficulté de vivre d’un enfant timide et trop sensible, cruauté des relations scolaires, vocation contrariée pour la danse et le théâtre, sensation étouffante de ne pas être comme les autres.
Tout ceci ne serait déjà pas banal pour une actrice lambda, si Vanessa n’était pas en plus née de sexe masculin. Et les années 60-70 n’étaient pas vraiment le terreau idéal pour revendiquer un changement de genre.
Inspiré des faits marquants de sa vie, la pièce navigue entre nostalgie et ironie, égrenant la difficile condition d’une femme pas tout à fait comme les autres, accumulant les peines et les douleurs trop souvent liées au 2-ième et au 3-ième sexe.
En définitive, cela valait-il le coup de quitter le confort d’une vie 'normale' de mâle dominant ?
Vanessa répond 'Oui' sans trop d’hésitations, certain(e) de n’avoir fait que remettre dans l’ordre une vie perturbée à la naissance par un détail sans importance.
Elle a heureusement pu bénéficier de la compréhension de ses parents, dépassés par les événements, mais n’ayant jamais rejeté leur vilain petit canard.
Finalement, le cygne s’est révélé dans toute sa splendeur (chez Alain Platel entre autres [*]), ce qui nous vaut ce One-WoMan Show aussi émouvant que réussi. La scène gantoise est décidément toujours aussi géniale que surprenante.
[*] "Tous des Indiens" (1999), "White Star" (2005).
Note: 9/10
Compléments :
> Le spectacle sur le site du Théatre de la Ville, CharleroiCulture et de SwanLake.
> Les dates de la tournée en France, Belgique, Pays-Bas.
> Les analyses et critiques de LeMonde, ThéatreContemporain, LeBlogDeBlanche, Tadorne, D'UneVoixàL'Autre, LaMémoireQuiFlanche.
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20/09/2007
Le Pensionnat (Dek Hor) de Songyos Sugmakanan
Samsara Thaï.
Les films thaïs sont assez peu nombreux à parvenir jusqu’en France. Raison de plus pour aller voir ce très bon film de fantômes, qui commence comme un film d’ados tendance nostalgique, style "La Guerre des Boutons" ou "Les Choristes", pour finir plutôt dans la lignée de "6-ième Sens" ou de "My Left Eye Sees Ghosts".
En évitant les excès violents de "Memento Mori", de "l’Échine du Diable" ou de "Harry Potter", il pose surtout le problème de l'intégration de l’individu dans la Société et de sa rédemption. Le fantôme est un reflet du héros, qui éprouve les mêmes difficultés à communiquer avec son entourage. Il n’est pas un ‘esprit affamé’ cherchant à exister aux dépends des vivants comme dans "Ring", "Histoires de Fantômes Chinois" ou "The Eye", mais un esprit coincé dans un monde parallèle au nôtre, et qui attend avec résignation la fin de sa ‘vie’ et sa future réincarnation. Victime d’une mort violente, et sans doute d’un mauvais karma, il occupe ce qu'un chrétien appellerait un ‘purgatoire’. Il est condamné à revivre les événements qui l’y ont conduit, cherchant à s’améliorer pour accroître ses chances d’accéder à un monde meilleur.
De même le jeune garçon, puni pour avoir interféré avec le monde des adultes, est contraint d’apprendre à vivre avec les autres, et à pardonner à ceux qui lui ont fait du tort. Le pensionnat est un monde inconnu et sans âge, mêlant traditions et modernité (télé, jeux vidéo), dans lequel il faut marquer son territoire, tisser des liens, pour finir par sortir de son cocon et renaître à la Vie.
Bref, un sympathique récit initiatique, avec en plus le charme de la Thaïlande d’il y a 20ans, et de savoureuses références aux comédies fantômatiques de Hong-Kong (via des extraits de "Mr Vampire").
Note : 8/10
Compléments :
> Le site du film.
> Les critiques de SanchoAsia, CommeAuCinéma, Telerama, Excessif, CriticoBlog, KrinEin.
> Dans le même genre, voir aussi : "Les Ailes Grises" (japanime).
20:00 Publié dans Ecrans Larges, Fantômes & Esprits Affamés, Karmas | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cinéma, asie | Imprimer