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26/01/2008

Maître Puntila et son Valet Matti (B.Brecht) par Omar Porras

Maître Puntila par Omar PorrasLa Lutte des Classes est-elle Soluble dans l'Alcool ?

En 1940, Brecht est obligé de vivre en exil en Finlande. C’est l’occasion d’écrire cette pièce, assez datée et dans la lignée des nombreuses comédies de maîtres et serviteurs qui parsèment l’œuvre des grands auteurs. Plutôt classique dans sa structure, elle permet de dénoncer la toute puissance d’un grand propriétaire terrien, gérant ‘ses’ gens de façon plus ou moins paternaliste selon son degré d’ébriété.
Ouvriers agricoles exploités, domestiques corvéables à merci, syndicalistes pourchassés, jeunes filles pauvres séduites et abandonnées, fille qui n’a pas son mot à dire sur son futur mariage forment la longue liste des victimes des notables, quand ceux-ci ne noient pas leur oisiveté dans l’alcool. Cette construction forme à la fois la force et la faiblesse de cette pièce.

D’un côté, ça permet de réactualiser des propos déjà dénoncés par Scapin, Sganarelle, Figaro et tant d’autres, tout en montrant que pas grand-chose n’a malheureusement changé dans la condition des petites gens. Les ressorts comiques sont largement éprouvés et toujours aussi efficaces. La mise en scène d’Omar Porras, particulièrement inventive et foisonnante, permet par ailleurs de gommer les aspects trop rébarbatifs du mélo pro-communiste de Brecht, tout en gardant la féroce dénonciation de l’exploitation des travailleurs par certaines classes dirigeantes. La forme de comédie musicale est particulièrement appropriée, les intermèdes chantés par le chœur soulignant l’action de façon comique comme dans les pièces antiques.

Le côté négatif de ce système est qu’il n’est pas très original, et qu’on a une forte impression de déjà-vu. Le décalage des situations de cette période avec notre époque à la fois si proche et si différente introduit également une distance préjudiciable.
Il est donc un peu difficile de rentrer dans la pièce, sensation renforcée par le jeu un peu outrancier des acteurs, par leurs masques, leurs voix faussées [*], et du décor volontairement décalé et biscornu.
Mais finalement, les 2h20 finissent par s’écouler rapidement, bien rythmées par le découpage de la pièce et les nombreux rebondissements. Rien à voir avec le "Homme pour Homme" dont j’avais l’année dernière dénoncé les faiblesses.

Côté interprétation, c’est un sans-faute, tant au niveau des premiers rôles, impressionnants, que des petites mains multipliant les apparitions sous de multiples identités. Le jeu sur les postures et les gesticulations est notamment remarquable (serviteurs toujours courbés par le travail et la déférence, bourgeois en équilibre instable signifiant leur ivresse et la fragilité de leur position sociale).
La pièce, quoique bourrée d’humour, est assez noire, constatant l’impossibilité du dialogue entre travailleurs pauvres et nantis imbus d’eux-mêmes, les 2 catégories étant conditionnées dès la naissance à être ce qu’elles sont. Matti, le chauffeur, est le valet traditionnel qui symbolise la conscience collective du peuple, intelligent, persifleur, mais condamné à subir les injustices de ses patrons, tout en rêvant au jour 'où chacun pourra enfin être son propre maître'. Il est le descendant direct de Figaro, dont le discours annonçait la Révolution Française, modèle mythique de toutes les luttes visant à libérer les peuples de leurs ‘élites’ héréditaires.

Bref, un bon Brecht, à découvrir même par ceux qui craindraient la prise de tête politico-philosophique.

Note: 8/10

[*] accentuées par le fait que certains rôles masculins sont joués par des femmes et vice-versa.



Compléments :
> Le spectacle sur les sites du Théatre de la Ville et du Teatro Malendro.
> Les analyses et critiques de Evene, LaTerrasse, Télérama, LesEchos, LeFigaro, LeMague, Webthea, Tartalacrem, ChezGaland, D.Dumas, AimablePetiteConne, Biffures.

17/03/2007

Homme Pour Homme (Mann Ist Mann) de B.Brecht

Homme Pour HommeQuestions d’Identités.

Bertolt Brecht, Hugues Quester et Emmanuel Demarcy-Mota, tout devait être réuni pour une représentation intéressante dans la lignée de "6 Personnages en Quête d’Auteur" ou de "Rhinocéros", présentés ces dernières années au Théâtre de la Ville. A la sortie, l’impression qui subsiste est plutôt mitigée.
L’interprétation des acteurs est globalement très bonne (Hugues Quester en tête), les décors intelligents et bien utilisés, la mise en scène inventive et impeccable comme toujours de la part de Demarcy-Mota.
L’argument de la pièce est pourtant intéressant : comment un brave type ordinaire et sans histoire(s) devient un soldat sanguinaire sous l’influence corruptrice d’une société militarisée. L’action se passe dans une Inde soumise au joug colonial anglais, et où les troupes de sa ‘gracieuse majesté’ sont au dessus des lois applicables au commun des mortels.

Mais le déroulement de la pièce est assez surréaliste, et les dialogues très décevant de la part d’un auteur tel que Brecht. La charge du propos et la férocité de la dénonciation sont complètement désamorcés par le peu de sérieux dans l’enchaînement de la démonstration.
Le démarrage est plutôt bon avec d’une part la vie tranquille du docker Galy Gay, d’autre part la tentative de pillage d’un temple par une bande de soldat en goguette, proche des meilleures pièces satiriques propres à l’Europe Centrale ("Le Brave Soldat Chvéik", "Rhinocéros", …). Mais les scènes où le civil est amené de force à endosser l’uniforme, sont plutôt grotesques et inconsistantes de la part de quelqu’un qui a vécu les 2 guerres mondiales. Ces époques n’ont pourtant pas manqué de moutons tranquilles devenus des chiens enragés, après avoir été convenablement conditionnés par le système militaire. On vraiment très loin des réussites que sont "Full Metal Jacket" ou "JarHead" pour prendre quelques exemples cinématographiques.

La narration est également assez bancale, avec une longue digression concernant le soldat laissé blessé dans le temple et instrumentalisé par le prêtre. N’apportant rien de plus au récit principal, elle n’est que l’occasion de critiquer, en passant, la crédulité religieuse de la population. Cette scène sans intérêt aurait mieux fait d’être coupée pour améliorer celles concernant l’évolution psychologique du pauvre conscrit malgré lui, partagé entre soumission à l’autorité, désir de puissance et de reconnaissance, pouvoir de devenir quelqu’un d’autre en changeant d’identité.

Cette pièce a pourtant connu 3 versions (1926, 1938, 1953), ce qui aurait pu être mis à profit pour en corriger les défauts. Bref, "Mann ist Mann" est vraiment une pièce mineure de Brecht et elle ferait mieux de rester peu connue.

Note: 6/10.

Compléments :
> "Homme Pour Homme" au Théatre de la Ville de Paris en 2007.
> Les critiques de LeMonde, LesEchos, L'Humanité.
> Sur les Blogs: EnMargeDuThéatre , LeLittéraire, LeThéâtred'Antoine, BienCulturel.
> Citations de Brecht.