27/08/2007
Films de l'Eté 2007
Bientôt la Rentrée. L'occasion de faire un bilan des sorties cinématographiques de ces derniers mois. Bilan rapide étant donné le peu d'intérêt des films sortis dernièrement. En dehors des dessins animés et des documentaires, le cru 2007 ne restera pas longtemps dans les mémoires. Outre les quelques films chroniqués précédemment, certains long métrages arrivent à tirer leur épingle du jeu, au moins le temps de la séance.
Le bilan de fin d'année sera néanmoins rapide à effectuer...
"Zodiac" (9/10) : La réalité dépasse souvent la fiction. Donc, pas besoin dans rajouter comme l’avait fait De Palma dans "Le Dahlia Noir", film creux, boursouflé et ennuyeux. "Zodiac" privilégie plutôt l’aspect documentaire qui avait déjà si bien réussi à "Memories of Murder". Les policiers n’y sont pas des supers héros invincibles et inspirés, mais de simples collecteurs d’indices besogneux, opiniâtres, faillibles, en un mot humains. Du coup, suivre l’enquête devient assez fascinant, car on éprouve les mêmes doutes, on tombe dans les même fausses pistes et on bute sur les mêmes difficultés liées à l’obtention de preuves formelles et au respect des règles procédurales. Contrairement à 'Dirty Harry' dans "Scorpio", il ne suffit pas d’une intime conviction, d’une poursuite en voiture et de quelques coups de feu pour mettre hors d’état de nuire un serial killer, même quand on a réussi à le mettre dans la liste des suspects. C’est sans doute ce traitement réaliste, et sans concessions, qui n’a pas plu au public américain. Car le film pointe aussi la mauvaise communication entre les différents services de police, la cruelle absence de techniques scientifiques d’analyse, l’importance démesurée donnée à la graphologie, le respect tatillon de la procédure conduisant à écarter des indices, la faiblesse des témoignages humains dans un contexte de paranoïa grandissante. Il faut aussi noter que le 'tueur du zodiaque' était un blanc. Un noir ne serait sans doute pas resté aussi longtemps en liberté.
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"Pirates des Caraïbes 3, Jusqu'au Bout du Monde" (8/10) : La troisième partie des trilogies est souvent l’occasion de constater une baisse importante de la qualité globale des longs métrages, le but étant plus de maximiser les bénéfices encaissés que de satisfaire le spectateur. "Pirates des Caraïbes 3" est donc une bonne surprise. Toujours aussi déjanté, visuellement beau et impressionnant, globalement bien joué, multipliant les rebondissements scénaristiques, mélangeant habilement le pur récit de pirates à la Stevenson et les mythes séculaires de la mer (odyssée d’Ulysse, voyages de Simbad, Hollandais Volant, Capitaine Nemo, Kraken, …). La cerise sur le gâteau est d’avoir un film assez peu hollywoodien sur le fond, sans happy end, commençant avec la mort d’un enfant, et faisant des pirates du monde entier (anglais, français, espagnols, africains, perses, chinois, malais) de vrais héros face à la tentative de domination et d’uniformisation d’une multinationale anglo-saxonne. Pas mal pour une production Disney !
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"Shrek 3" (7/10) : "Ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants". La saga Shrek arrive logiquement à son terme, et les scénaristes ont eu apparemment beaucoup de mal à trouver de quoi parler. D’où, un rythme un peu plu décousu, une énième tentative du Prince Charmant de prendre le pouvoir, une prolifération de nouveaux personnages largement sous-exploités, un humour moins transgressif, moins innovant, moins révolutionnaire. Les gens heureux n’ont pas d’histoire(s). Après les fiançailles, le mariage puis les enfants, le futur Shrek 4 aura logiquement encore plus de mal à innover, sauf à mettre résolument l’accent sur un autre personnage principal (l’Ane, le Chat Potté, les enfants Shrek, … ?).
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"Harry Potter et l'Ordre du Phénix" (7/10) : Et de 5 ! Le feuilleton à succès du moment se poursuit année après année avec des épisodes qui tiennent globalement la route. Celui n’est pas trop mal, même s’il est apparemment très (trop) résumé par rapport à son équivalent papier. Ceux qui n’ont pas vu les épisodes précédents ont intérêt à suivre des cours de rattrapage. Le public visé est de 2 sortes : les aficionados, qui ont besoin de voir et lire tout ce qui concerne leur héros préféré, et ceux qui n’ont pas envie de se taper les milliers de pages de la version écrite. Les autres auront intérêt à aller voir autre chose.
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"Persepolis" (9/10) : La grande Histoire au travers de la petite. Le procédé n’est pas nouveau, mais ça fonctionne toujours aussi bien. Le passage de la BD au grand écran est particulièrement bien réussi, et en respecte aussi bien la forme que l’esprit. Réalisée par des américains, on aurait eu droit à une version caricaturale de l’Iran, bien éloignée des messages que parvient à nous faire passer Marjane Satrapi. A voir absolument, puis à compléter par la BD qui est (évidemment) plus détaillée.
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"Hot Fuzz" (8/10) : Robocop dans la campagne anglaise. Difficile d’être un super-flic dans un trou perdu où il ne se passe apparemment rien ou presque. Mais au royaume du Five O’Clock tea, les apparences sont souvent trompeuses. Parodie des films d’action testostéronés, croisement entre les recettes sans finesse des films américains et les traditions des enquêtes policières policées britanniques, le film est un petit bijou d’humour rehaussé de non-sense, cher à nos voisins d’Outre Manche. Seul regret, un final débridé difficilement maîtrisé, qui aurait gagné à être un peu plus sobre.
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"Raisons d’État (The Good Shepherd) " (8/10) : Trahisons et Mensonges dans le contexte de la création de la CIA, ou le basculement d’un régime démocratique parlementaire vers une autocratie au service du lobby militaro-industriel. Surestimant volontairement ses ennemis pour obtenir plus de crédits et de pouvois, échappant progressivement au contrôle démocratique, éliminant sans remords ses amis et alliés sur de simples soupçons, se laissant facilement abuser par le KGB et ses taupes anglaises, la CIA n’a jamais réussi à remplir les missions que ses créateurs lui avait fixé. Le montre de Frankenstein, grandi trop vite et échappant à tout contrôle, n’a malheureusement pas fini de provoquer les dégâts qu’on connaît. Un bon film, loin des jamesbonderies habituelles, plus proche des bons romans de John Le Carré, et des films politiques comme Syriana.
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"Les Simpson" (8/10) : N’ayant pas de télé, je n’avais encore jamais eu l’occasion d’en voir un épisode entier. Finalement, ce n’est pas mal. Amusant, bien rythmé, égratignant gentiment la société américaine, ses valeurs terre-à-terre, sa beaufitude profonde. On peut néanmoins lui reprocher une morale un peu trop disneyenne (importance donnée à la famille, chance donnée même au pire des idiots, etc.). Dans le même registre, "South Park" est quand même un peu plus subversif.
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"Ratatouille" (10/10) : Un chef d’œuvre de plus pour Pixar, comme d’habitude. Chez eux, on peut aller se restaurer les yeux fermé. Les plats y sont de qualité, le personnel mérite largement ses étoiles, et on y passe une soirée toujours agréable. Alors qu’Hollywood multiplie généralement le fast-food industriel, le recyclage des restes et les plats réchauffés, il est réconfortant de voir des artisans capables de sélectionner les meilleurs produits, inventer de nouvelles techniques, et les combiner à la perfection pour proposer un menu au niveau aussi élevé. Disney ferait bien de s’en inspirer pour le reste de sa production.
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18/08/2007
Still Life (Sanxia Haoren) de Jia Zhang Ke
Nature Morte ?, Une Vie Tranquille ?, Encore de la Vie ?
Encore un excellent film de la 6-ième génération de cinéastes chinois, commis par celui qui nous avait déjà gratifié du très bon "The World".
"Still Life" (le titre original est plutôt "Les braves Gens des 3 Gorges"), c’est la chronique douce-amère d’une Chine à la dérive, à travers le destin de 2 couples en crise essayant de reconstruire leurs vies, et de tous ceux qui gravitent autour d’eux.
Le site du Barrage des 3 Gorges renvoie à un pays où le passé est systématiquement détruit au nom d’idéologies successives opposées, et où l’aveuglement technocratique et le capitalisme sauvage finissent par mettre en pièce ce que la Révolution Culturelle n’avait pas réussi à supprimer totalement.
Destruction de la cellule familiale, exploitation et spoliation des plus pauvres, affairismes mafieux, retour à un esclavagisme des temps anciens, exode économique forment le quotidien des générations actuelles. Les relations humaines finissent par atteindre le degré zéro de la communication, malgré la généralisation des portables censés assurer le lien des hommes entre eux.
Pourtant, l’espoir demeure parmi les exclus du système, grâce à la solidarité qui les unit dans l’adversité, matérialisée par des échanges de petits riens (une cigarette, un paquet de thé, un verre de vin, un bonbon "Lapin Blanc", …). C’est grâce à eux qu’ils arrivent à supporter leurs conditions déplorables, rêvant à un avenir meilleur, où l’équilibre de nouveau restauré entre le Ying et le Yang leur permettra de surmonter les obstacles et de retrouver une vie normale.
En plus d’images grandioses du YangTsé Kiang autour de Fengjie, une superbe bande son, où chansons passéistes et bruits quotidiens se mêlent harmonieusement pour évoquer une atmosphère à la fois dure et mélancolique.
Indispensable à voir pour tous ceux qui s’intéressent à la Chine d’aujourd’hui.
Note : 8/10
Compléments :
> Le site du film.
> Les critiques de CommeAuCinéma, SanchoAsia, Excessif, Fluctuat, FilmDeCulte, AVoirALire, Critikat, LaLibreBelgique, Aujourd'huiLaChine, CNBDI, LeWebPédagogique, CinéClubCaen.
> Sur les Blogs: CrticoBlog, CinqAnsEnChine, PibeSan, SurLaRouteDuCinéma, CaféGéo, PeauNeuve, TchinTchine, Wodka, Zvezdoliki.
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07/07/2007
La Traversée du Temps (Toki wo Kakeru Shôjo) de Mamoru Hosoda
Retour vers Maintenant.
Entre romance adolescente et considérations philosophiques, "La Traversée du Temps" est un japanime des plus intéressants, à mi-chemin entre la complexité foisonnante de "Paprika" [1] et les simplifications trop réductrices des "Contes de TerreMer" [2].
Mélange de thèmes déjà traités dans d'autres films, il les revisite de façon originale, dynamique et humoristique, tout en pouvant prétendre à la primauté, puisque le roman dont il est inspiré date de 1965.
Dans le genre, "Un Jour Sans Fin" se focalisait surtout sur l’aspect social de nos relations, "L'Effet Papillon" mettait essentiellement l'accent sur les conséquences de nos actes, "La Jetée" et "Happy Accidents" jouaient avec les mouvements d’attraction/répulsion entre 2 êtres d’époques différentes.
"La Traversée du Temps", tout en intégrant ces différents thèmes, est plus axé sur l’individu qui découvre, expérimente et finalement maîtrise ou subit un pouvoir qui le dépasse. Il est en ce sens très proche de "Retour vers le Futur", et utilise d’ailleurs la même technique qui consiste à transformer un mouvement rapide dans l’espace pour se déplacer dans le temps.
On a d’un côté toute la thématique adolescente, qui consiste à faire son deuil de l’innocence et de l’insouciance pour entrer dans une ère de responsabilité et d’indépendance. La fin de l’année scolaire est un moment particulier où se cristallise la fin d’une époque, où les groupes éclatent avant de se recomposer autrement. Les amitiés se fissurent pour laisser passer les premiers émois amoureux.
De l’autre, le film creuse un certain nombre de sillons typiquement Zen. La vie est dans l’instant présent. Le Passé n’existe plus, le Futur n’existe pas encore. A l’instar du tableau restauré par la tante de l’héroïne, et qui exprime la joie intérieure de l’Éveillé, l’existence n’est qu’une parenthèse fragile entre un passé oublié et un futur incertain.
L’aspect le plus intéressant du film s’exprime en fait en filigrane. Au-delà de Makoto qui monopolise notre attention par ses espiègleries, ses gesticulations, ses interrogations, se profile la vie de sa tante (la ‘sorcière’) qui a déjà vécu le même genre d’événements, en a épuisé les possibilités et en a intégré les enseignements.
La vie est un subtil équilibre entre Liberté et Déterminisme. Si l’individu peut se mouvoir à sa guise dans le temps et dans l’espace, il reste soumis a des règles qui le ramènent invariablement à des croisements obligés, tels ce passage à niveau où passe tous les jours, à la même heure, le même train, dans le même sens.
[1] réalisé lui-aussi par les studios "MadHouse", et dont l'auteur originel est également Yasutaka Tsutsui.
[2] Mamoru Hosoda fut pressenti pour réaliser "Le Château Ambulant", mais quitta finalement Ghibli pour rejoindre MadHouse.
Note : 8/10
Compléments :
> Le site du film.
> Les critiques de CommeAuCinéma, Libération, LeMonde, Télérama, Excessif, Cinémasie, Chronicart, Critikat, KrinEin, AVoirALire, OrientExtreme, AsieVision, SanchoAsia, Matoo, NihonNoSashin, MaXoeRama, AnimeFrance.
Complément² :
> Ma chronique du roman de Yasutaka Tsutsui.
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09/06/2007
L'Avocat de la Terreur
L'Avocat du Diable a-t-il signé un Pacte avec son Sang ?
Encore un documentaire passionnant qui sort sur grand écran. A l’heure où les fictions ne sont le plus souvent qu’un assemblage industriel de composants standardisés, les sujets les plus intéressants finissent par se trouver dans l'exploration du réel.
Ce film de Barbet Schroeder tente d’examiner l’énigme que pose la vie de l’avocat Jacques Vergès. Militant anticolonialiste, défenseur de sans grades (Omar Raddad), il a aussi été la voix d’activistes du FLN, ainsi que de nombreux terroristes palestiniens ou de la Fraction Armée Rouge. On s’interroge aussi sur ses amitiés avec les mouvements nazis, et les génocidaires cambodgiens.
La confrontation des témoignages et des images d’archives permet une très grande immersion dans le sujet, rappelant les faits qu’on n’a pas obligatoirement connu, ou qu’on a oublié, permettant également de mettre en évidence les petits arrangements avec la réalité de tel ou tel témoin. On se plonge notamment avec délice dans les détails de la lutte de libération du peuple algérien, mal connue de ce côté-ci de la Méditerranée.
Jacques Vergès y apparaît alors comme un révolutionnaire exalté, assez proche de personnages comme Che Guevara. De sa prise de conscience politique à la victoire contre les forces d’occupation, le parcours est assez identique. Ensuite vient l’ennui de redevenir un petit pion et de devoir vivre une existence banale. D’où son passage dans la clandestinité pour servir ses idées. Mais alors que le Che échoue sur le terrain, et devient une icône pour les générations futures, Vergès est confronté aux compromis et à la compromission. La logique des alliances passées et des intérêts communs fait que le défenseur de la Justice et le pourfendeur de l’Impérialisme se retrouve également du côté des communistes les plus staliniens, ainsi que de la nébuleuse nazie finançant les mouvements arabes anti-juifs.
Malgré les nombreux témoignages, il est difficile de savoir ce qu’il a fait entre 1970 et 1978, voyageant probablement beaucoup entre la France, le bloc soviétique et le Proche-Orient. Mais il est visiblement trop attaché au luxe pour pouvoir se contenter d’une vie de guérillero clandestin. Il refait donc surface à Paris (à la suite d’un accord avec les services secrets français ?) et commence sa vie de défenseur des stars du terrorisme international. Brillant avocat, il sert également de relais entre les gouvernements et les organisations terroristes, assure les relations avec les prisonniers (messages, colis, …).
Le personnage est énigmatique, secret, ambigu, provocateur, manipulateur, à l’image de l’affiche retenue pour le film. On le voit les 2 poings en avant dans une attitude qui fait penser au Robert Mitchum de "La Nuit du Chasseur" (et ses tatouages Love/Hate), au prisonnier qui tend les mains pour se faire menotter, mais aussi au joueur de bonneteau qui vous demande de choisir la main dans laquelle est caché ce que vous cherchez.
Le film ne donne malheureusement à voir que son côté le plus présentable, et fait complètement l’impasse sur la défense de nombreux dictateurs africains. Seul le générique de fin nous présente la liste de ces (nombreux) clients peu reluisants. Il pose néanmoins des questions importantes en ce qui concerne les limites du droit à la révolte, et de la lutte contre l’injustice. Là où Gandhi et les mouvements pacifistes ont choisi d’imposer une résistance passive à l’oppression et à l’injustice, Vergès choisit toujours l’action, le mouvement et le Verbe. Quitte à se noyer dans son propre discours, notamment quand il défend des femmes.
Au final, on obtient une excellente enquête, engagée mais non partisane, équilibrée et contradictoire, comme celle qu’on pourrait avoir dans l’enceinte d’un tribunal.
A voir absolument par tous ceux qui s’intéressent à l’Histoire contemporaine.
Note : 9/10
Compléments :
> Le site du film.
> Les commentaires de CommeAuCinema, LaLibreBe, RFI, LeMonde, LaTribune, Rue89, Telerama, FilmDeCulte, Fluctuat, AVoirALire.
> Sur les Blogs: CriticoBlog, DrOrlof, CritiquesClunysiennes.
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19/05/2007
La Liste de Carla
De Srebrenica à La Haye, Espoirs et Désillusions.
Sorti dans l’indifférence générale, ce documentaire de la Télévision Suisse [1] suit pendant les derniers mois de 2005, les pérégrinations de Carla del Ponte, procureur(e) au Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). Depuis 1999, elle tente d’appréhender et de juger les responsables des crimes de guerre et contre l’Humanité perpétrés en Serbie, Croatie et Bosnie entre 1991 et 1995.
Elle ne possède aucune force dédiée, et est donc obligée de s’en remettre aux gouvernements locaux actuels, aux troupes internationales de maintien de la paix (ONU, OTAN) et aux services secrets européens et américains opérants dans ces pays. Le moins que l’on puisse dire, est que ceux-ci sont assez peu motivés et très peu efficaces [2]. Alors que le menu fretin a fini par être interpellé, les plus gros poissons (6 à ce jour), tous serbes, courent toujours sans être inquiétés.
Qui les protège ? Les militaires serbes, sans aucun doute. Mais les gouvernements européens et américains font-ils vraiment le nécessaire, ou préfèrent-ils fermer les yeux volontairement ?
Carla del Ponte penche plutôt pour une incompétence et une insuffisance de moyens, analogue à celles mise en oeuvre contre le terrorisme islamique.
Alors que les moyens modernes d’écoutes des télécommunications permettent de repérer rapidement n’importe qui (Cf. la capture du général croate Ante Gotovina effectuée par la police espagnole, et révélée pendant le reportage), comment quelques privilégiés continuent-ils d’échapper aux troupes chargées de les capturer ? Les Balkans ne sont quand même pas aussi impénétrables que les montagnes afghanes !
Au-delà de l’unité de façade exprimée pour condamner le génocide, on observe bien peu de volonté pour effectuer les actions politiques et militaires nécessaires. Le fait que les victimes de Srebrenica aient été musulmanes est-il déterminant pour qu’on préfère ne pas trop s’en préoccuper ? Le refus des Etats-Unis d’avaliser la création d’un tribunal pénal international permanent entre aussi certainement en ligne de compte. Mais le problème principal semble la guéguerre entre les officines des différents pays (voire entre les différents services de renseignement comme aux Etats-Unis), chacun conservant pour lui les informations recueillies sur le terrain sans en faire profiter les autres.
Ce documentaire est un très bon portrait de Carla del Ponte et de son équipe, de leurs espoirs, leurs doutes, leurs tactiques pour essayer d’amener les responsables internationaux à respecter leurs engagements. C’est également un portrait émouvant des victimes, femmes / filles / mères / amies des hommes exécutés à Srebrenica, leur combat contre l’oubli (analogue à celui mené par les femmes d’Argentine et du Chili contre les exactions des juntes militaires), leurs tristesses et leurs espoirs déçus.
C’est aussi un cruel compte à rebours. Le TPIY devant être dissous en 2008/2010, et le mandat de Carla del Ponte arrivant à échéance en septembre 2007, les chances de condamner les principaux responsables du génocide s’amenuisent de jour en jour.
A moins que d’ici là les pressions politiques de l’Union Européenne et des USA redevenus démocrate impulsent une nouvelle dynamique, face à des pays de l’ancienne Yougoslavie pressés de bénéficier des faveurs de l’Espace Economique Européen.
Note: 9/10
[1] réalisé avec l’appui de différents services de l’Etat Suisse.
[2] Cf. "No Man’s Land", l’excellent film de Danis Tanovic, relatant de façon tragi-comique la guerre serbo-croate et la façon particulière des forces de l’ONU de gérer la crise.
Compléments :
> Le site du film.
> Les commentaires d’Amnesty International, de SwissInfo, de la Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats, de Courrier International.
> les Critiques de Telerama, CommeAuCinema, CineMagazine, Fluctuat.
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