22/12/2007
La Forêt de Mogari (Mogari no mori) de Naomi Kawase.
The Nara Chaman Project.
Primé à Cannes, "La Forêt de Mogari" est malheureusement assez représentatif des choix habituels des jurys. On sait que ça va être beau, bien joué, mais qu’on va s’y ennuyer mortellement. Les Palmes ont tendance à récompenser l’auteur plutôt que l’œuvre présentée. Le dernier film de Naomi Kawase ne déroge pas à la règle. C’est d’autant plus dommage que le précédent ("Shara") était un bon film, sachant ménager l’intérêt du spectateur tout au long de sa durée.
La première partie en est de toute beauté. La vision du vent soufflant dans les forêts et les rizières de la région de Nara est vraiment spectaculaire. Arriver à rendre visible un phénomène aussi immatériel montre bien la maîtrise technique de la réalisatrice (et de son équipe). Mais de belles images et une remarquable bande-son ne suffisent pas à faire un bon film.
Le film pêche beaucoup du côté du scénario et de la direction d’acteurs (inexistante).
Ça semble commencer comme une leçon zen sur le sens de la vie, avec un moine qui essaie quelques notions de base à des retraités très diminués mentalement, mais cette piste est rapidement abandonnée. La peinture impressionniste mélangeant et opposant la Ville et la Nature, les jardins et les plantations de thé, la multitude des personnages, suscite néanmoins l’intérêt, même si elle est assez peu développée, faute d’acteurs professionnels pour la soutenir.
Le problème est le ralentissement considérable de la narration qui étire pendant une (trop) longue seconde partie, une ballade en forêt assez artificielle, sur-jouée, aux trucages (débordement du torrent) mal faits, et aux intentions plutôt creuses. Le rythme trop elliptique du début a empêché de s’attacher aux personnages principaux. On a d’ailleurs du mal à comprendre comment ils sont passés d’une communication assez difficile à une telle complicité. Quand au message véhiculé, très animiste, il est en complète contradiction avec le discours bouddhiste du début.
"La Forêt de Mogari" est finalement assez emblématique du cinéma japonais actuel. Tombé dans le coma il y a quelques années, on espère toujours un signe y voir un signe de vitalité et de renouveau, mais on est finalement déçu du résultat. Mieux vaut se tourner vers le cinéma coréen, qui lorsqu’il traite les mêmes thèmes du deuil et de la rédemption ("Old Boy", "Samaria", "Secret Sunshine", …) se révèle autrement plus inventif et dynamique.
Note : 5/10
Compléments :
> Le site du film.
> Les critiques de OrientExtreme, CommeAuCinéma, Fluctuat, FilmDeCulte, Excessif.
> Sur les blogs: CriticoBlog, LeMeilleurDuCinéma, LesRosesDeDécembre, JournalD'UnExcessif, Benzine.
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08/12/2007
Retour à la Citadelle (Jean-Luc Lagarce) par François Rancillac
La Colonie Plénipotentiaire.
La ‘Cité’ est une colonie qui s’est implantée comme une grosse verrue sur le territoire d’un pays étranger, dont on ne connaît rien sinon qu’il est très loin de la métropole.
Il y a 30 ans, l’Ancien Gouverneur s’y est installé avec sa femme à la suite, semble-t-il, d’une erreur administrative ou d’une mauvaise blague d’un sous-secrétaire du Vice-Roi. Malgré les difficultés, l’éloignement de la Mère-Patrie, et l’absence de relations avec quiconque, la colonie s’est développée et perdure à la manière d’un Gibraltar, d’un Ceuta ou d’un Guantanamo.
Il y a 10 ans, un jeune homme révolté, issu d’un famille nombreuse et pauvre (elles le sont toutes, à part celles des dirigeants), a quitté le territoire sans espoir de retour et sans jamais donner de ses nouvelles.
Aujourd’hui il revient, muni d’une lettre de cachet l’intronisant comme étant le nouveau Gouverneur. Tous l’attendent (au tournant), essaient de se souvenir, craignent ses réactions et les conséquences de ses décisions. La politique de l’Etat central a-t-elle changé ? Vient-il pour condamner les excès de l’administration en place ? A-t-il été exilé dans un placard doré ? Où n’a-t-il simplement fait qu’intriguer pour prendre une place somme toute bien confortable, tout en continuant à perpétuer les injustices ?
C’est, en passant, une féroce dénonciation d’un colonialisme né sans raisons et se perpétuant sans but, de l’exploitation des masses par des dirigeants sans scrupules, uniquement occupés à se remplir les poches tout en proférant de grands discours dans lesquels ils se perdent eux-mêmes.
Aux anciens responsables imbus de leurs personnes, mais craignant pour leur fortune et leur avenir, et aux hauts fonctionnaires arrivistes et zélés, mais intellectuels ratés, répondent la famille et les prétendus anciens ‘meilleurs amis d’enfance’ qui cherchent à profiter des faveurs du nouveau pouvoir.
La mise en scène de François Rancillac reprend celle de 1990 [*], dans un décor de sable gris, entrecoupée de nombreux ‘fondus au noir’ et ‘mouvements de caméras’ tournants. On est loin de la version de Jean-Charles Mouveaux, présentée début 2007 au théâtre du Marais et critiquée à juste titre, qui en faisait une farce circassienne.
On est beaucoup plus dans la tradition de Beckett et de Kafka, questionnant notre humanité, soulignant les motifs d’incompréhensions mutuelles, les comportements dérisoires, le renoncement à vouloir améliorer le monde.
On se croirait lors du tournage d’une hagiographie officielle par une télé aux ordres, chacun étant invité à apporter tout à tour son témoignage élogieux en faveur du nouvel homme fort. Mais avec le temps qui passe et les bouteilles qui se vident lors du banquet officiel, les langues se délient et expriment en filigrane des vérités moins superficielles.
Alors, si le tempo est un peu lent et s’il ne se passe pas grand-chose sinon une succession de discours désenchantés, la pièce se révèle passionnante, excellemment servie par une brochette d’acteurs qui ont su en exprimer toute la dérision et la tendresse.
Une mention spéciale pour Olivier Achard, l’éminence grise à l’éloquence ampoulée, et pour Yves Graffey, le père que personne ne laisse parler et qui ne peut exprimer ses sentiments autrement que par des gestes plus ou moins refoulés.
[*] dans une version approuvée par Jean-Luc Lagarce, mort en 1995.
Note: 9/10
Compléments :
> Le spectacle sur le site du Théatre de la Ville.
> Le site consacré à l'année Jean-Luc Lagarce.
> Interview de François Rancillac sur France-Info.
> Les analyses et critiques de ThéâtreContemporain, Les3Coups, LaGestionDesSpectacles, LaTerrasse, Tadorne, InBlogWeTrust, BienCulturel, UnAirDeThéâtre.
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25/11/2007
Les Promesses de l’Ombre (Eastern Promises) de David Cronenberg
Western Shadows.
Cronenberg continue d’explorer le côté obscur de l’être humain. Mais le propos a évolué depuis ses premiers films. L’accent était alors mis sur l’organique, la sexualité, les mélanges contre-nature. Le malaise venait de l’absence de frontières entre Soi et Non-Soi, à grand renfort d’effets gores et de substances visqueuses et poisseuses.
Depuis "A History of Violence", l’analyse se fait au contraire plus subtile et plus psychologique. Si les corps sont toujours montrés de façon très crue, à la Paul Verhoeven, les fluides sont devenus plus liquides (eau, sang, alcool, …), et la violence est souvent plus psychique que physique, malgré une animalité impressionnante.
Les situations décrites illustrent la permanence des illusions et des rapports de domination dans l’impermanence de l’Existence (immigrés dans un nouveau pays, repenti dans une nouvelle vie, …). Il n’y a pas de Paradis en ce monde, sauf à l’organiser de façon très monastique, comme le font les truands de Cronenberg. L’aspect religieux est souligné par les tatouages multipliants les croix et les églises (orthodoxes), et se répandant sur les corps comme des stigmates. Ceux des doigts de Viggo Mortensen font d’ailleurs penser à ceux du pasteur joué par Robert Mitchum dans "La Nuit du Chasseur". A l’inverse, les gros méchants sont très typés musulmans (tchétchènes, turcs). On regrettera aussi l'apologie du mythe du bon tchékiste, protecteur de la société.
Si le film ne fera sans doute pas date dans la filmographie de Cronenberg, il se laisse néanmoins voir sans déplaisir (surtout grâce à la mise en scène et aux acteurs), malgré son côté ambigu et un message beaucoup moins explicite que d’habitude. Espérons que cette dérive Lynchienne ne finira pas par rendre son discours aussi obscur que celui de l’auteur de "Inland Empire".
Note: 8/10
Compléments :
> Le site du film.
> Les critiques de CommeAuCinéma, LaLibreBe, Libération, Telerama, Excessif, Fluctuat, FilmDeCulte.
> Sur les blogs: CriticoBlog, PibeSan, SebInParis, ARebours, KleoInParis.
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24/11/2007
Regarde Maman, Je Danse de Vanessa Van Durme
Histoire Ordinaire d'Une Femme Extra-Ordinaire.
Souvenirs de la vie quotidienne d’une femme malmenée par la vie (enfance difficile, premiers pas professionnels pitoyables, prostitution, mariage raté, …) qui s'interroge à l'orée de ses 60 ans.
Naissance laborieuse dans une famille flamande nombreuse et populaire, difficulté de vivre d’un enfant timide et trop sensible, cruauté des relations scolaires, vocation contrariée pour la danse et le théâtre, sensation étouffante de ne pas être comme les autres.
Tout ceci ne serait déjà pas banal pour une actrice lambda, si Vanessa n’était pas en plus née de sexe masculin. Et les années 60-70 n’étaient pas vraiment le terreau idéal pour revendiquer un changement de genre.
Inspiré des faits marquants de sa vie, la pièce navigue entre nostalgie et ironie, égrenant la difficile condition d’une femme pas tout à fait comme les autres, accumulant les peines et les douleurs trop souvent liées au 2-ième et au 3-ième sexe.
En définitive, cela valait-il le coup de quitter le confort d’une vie 'normale' de mâle dominant ?
Vanessa répond 'Oui' sans trop d’hésitations, certain(e) de n’avoir fait que remettre dans l’ordre une vie perturbée à la naissance par un détail sans importance.
Elle a heureusement pu bénéficier de la compréhension de ses parents, dépassés par les événements, mais n’ayant jamais rejeté leur vilain petit canard.
Finalement, le cygne s’est révélé dans toute sa splendeur (chez Alain Platel entre autres [*]), ce qui nous vaut ce One-WoMan Show aussi émouvant que réussi. La scène gantoise est décidément toujours aussi géniale que surprenante.
[*] "Tous des Indiens" (1999), "White Star" (2005).
Note: 9/10
Compléments :
> Le spectacle sur le site du Théatre de la Ville, CharleroiCulture et de SwanLake.
> Les dates de la tournée en France, Belgique, Pays-Bas.
> Les analyses et critiques de LeMonde, ThéatreContemporain, LeBlogDeBlanche, Tadorne, D'UneVoixàL'Autre, LaMémoireQuiFlanche.
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10/11/2007
N.Q.Z.C./Arkiologi de Wayn Traub
L'Amour, la Science, le Diable.
Wayn Traub est certainement le plus grand dramaturge belge actuel. L'idée m'avait déjà effleuré lors de la représentation de "Maria Dolorès", sa première grande création (2002), mais après "N.Q.Z.C." le doute n'est plus permis.
"N.Q.Z.C." est l’aboutissement d’un atelier de création théâtrale appelé "Arkiologi" qui a exploré un certain nombre de pistes pas toujours retenues dans la version finale.
Le thème principal est en fait proche de celui du film "The Fountain" de Darren Aronofsky, à savoir celui d’un scientifique/astronaute essayant de retrouver l’amour de sa femme, dont on ne sait si elle l’a quitté ou s’il l’a supprimée un jour de colère.
Trois époques s’entremêlent.
L’une est moyenâgeuse, qui voit un damoiseau et une damoiselle se jurer fidélité éternelle, et le Diable mettre à profit leurs inquiétudes pour les amener à pactiser avec lui. L’éternité promise est évidemment trompeuse, comme le montrait déjà Marcel Carné dans "Les Visiteurs du Soir".
La deuxième est contemporaine, et met en scène un couple mal assorti, composé d’une danseuse/psychothérapeute délurée et sensuelle, et un professeur pédant et cynique ne rêvant que de partir dans l’Espace. Le rôle du démon est joué par la psychologue chargé d’effectuer les tests d’évaluation et d’aptitude des candidats astronautes. La signature du contrat et ses prémices impliquent aussi la rupture du couple, aucune réponse du QCM n'étant compatible avec la durabilité d’une notion impermanente.
La troisième est futuriste, et correspond à un univers fantasmé, celui de l’astronaute revivant son passé à l’approche d’une nouvelle planète de style "Solaris". Le récit s’inspire alors du mythe d’Orphée essayant de retrouver son Eurydice, et de l’impossibilité de refaire une nouvelle réalité à partir des souvenirs passés.
Les 3 univers se mélangent, se répondent par delà l’espace et le temps, s’éclairent l’un l’autre dans la répétition des situations et de leurs décalages. Interrogeant notre humanité/animalité, il pose la question de l’éternité, du sacrifice, de la justesse de nos choix.
Esthétiquement, la pièce est une vraie réussite, jouant avec les ombres et les lumières, le symbolisme des couleurs très primaires (noir/blanc/gris/rouge), les accessoires très typés, une musique techno/hypno/religieuse. Les 4 acteurs qui ont participé à la conception de la pièce sont absolument excellents, appuyés de temps en temps par Wayn Traub, coryphée masqué/casqué (inspiré par l'Actarus de Goldorak ?) qui assure le prologue musical (à la Daft Punk) ainsi que certains enchaînements.
Quand traditions et modernité se combinent de façon aussi virtuose, on en redemande.
Note: 10/10
Compléments :
> Le spectacle sur le site du Théatre de la Ville et de la ToneelHuis.
> Les analyses et critiques de LaTerrasse, ThéatreContemporain, AllegroVivace.
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