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27/02/2006

Syriana

Le Pétrole est une Drogue comme les autres

Il est toujours difficile de parler géopolitique dans un film, qui par définition est d’une durée relativement limitée. Pour être compréhensible, le propos doit être réduit à quelques faits importants, quelques personnages clefs et quelques rebondissements. Les films dit choraux doivent obligatoirement être longs et essayer de ne pas trop s’éloigner des règles 'classiques' (unité de lieu, de temps et d’action) pour ne pas perdre le spectateur en route.
Dans ce contexte, "Syriana" s‘en sort plutôt bien. Certes, il est nécessaire de connaître un peu la conjoncture internationale en général, et le contexte moyen-oriental en particulier pour ne pas être largué, mais le scénariste n’a pas fait l’erreur de tout prendre en compte.
On n’y parle donc pas des trafics d’armes, des comptes en Suisse, des situations israélo-palestinienne ou libano-syrienne, des compétitions diplomatiques américano-russo-européennes, de l’Afghanistan, des guerres du Golfe, des agissements de la famille Bush, etc. Par contre, il est évident que ce n’est pas un film de 'divertissement', et qu’il ne faut pas laisser son cerveau au vestiaire ou laisser traîner les yeux sur sa voisine.

Le réalisateur, Stephen Gaghan, avait déjà scénarisé "Traffic" qui traitait du business de la drogue, vu par 3 familles de personnages (les services américains spécialisés, les flics mexicains, les narcos-trafiquants). La vision de ce film était facilitée par un code de couleur, l’image ayant été traitée pour tirer vers le bleu, le jaune ou le blanc selon les personnages suivis. Ici, rien de tout cela. L’interpénétration des situations et des (nombreux) personnages ne permet pas ce genre d’astuces. Cette complexité est à la fois la force et la faiblesse du film.
On y suit en effet les pérégrinations :
- d’un agent de la CIA, qui bien que compétent, expérimenté, polyglotte, sans scrupules et dévoué à son pays, se retrouve trahi par ses anciens contacts et lâché par ses chefs comme un vulgaire pion.
- de cadres supérieurs de compagnies pétrolières dont le comportement mafieux corrompt toutes les couches de la société.
- d’une famille royale du Golfe, où les intérêts particuliers et les luttes de pouvoir s’opposent à la logique économique et à l’intérêt national.
- d’un avocat d’affaire chargé de déminer et d’étouffer les affaires de corruptions trop visibles de l’un de ses clients pétrolier, en vue d’une OPA internationale.
- d’un analyste d’une société de trading suisse amené à conseiller le plus progressiste des responsables arabes.
- de groupes islamistes, avec leurs stratégies de recrutement et leurs nombreuses contradictions.
- d’ouvriers pakistanais immigrés dont le destin tragique résulte des agissements des uns et des autres.

Si le scénario est riche, et explique bien la situation et les motivations des différents intervenants, il est relativement touffu et difficile à suivre. Les scènes s’enchaînent parfois de façon abrupte. Heureusement les acteurs sont tous d’un excellent niveau que ce soit les stars américaines ou les inconnus d‘origine arabe.
Le parallèle avec "Trafic" n’est en tout cas pas anodin, car le pétrole comme la cocaïne mettent en jeu (presque) les mêmes acteurs (gouvernements, services spéciaux, hommes d’affaires, avocats véreux, …). Et le Pétrole est vraiment la drogue ultime: abondante, pas chère, impossible de s’en passer (même un écologiste forcené en est dépendant), et des profits colossaux pour ceux qui maîtrisent sa filière.

C’est un film qu’il faudra sans doute revoir au moins une deuxième fois pour en saisir tous les aspects, d’autant plus qu’il a été amputé de certaines scènes au montage. Espérons que le DVD contiendra, en plus de la version complète, des bonus permettant d’expliciter la situation pour ceux qui n’auraient pas tout compris. C’est en tout cas un film important dans le contexte actuel, à rajouter dans la liste de ceux qui ne prennent pas les spectateurs pour des imbéciles ("Lord of War", "JarHead", "Good Night & Good Luck", ...)

Note: 8/10

Compléments :
> Fiche Cinéfil.
> "La chute de la CIA: mémoires d'un guerrier de l'ombre sur les fronts de l'islamisme", par Robert Baer, ex-agent de la CIA, dont est inspiré le film.
> Les critiques de "CommeAuCinéma", "Excessif", "Fluctuat", "France2", "l’Humanité", "LaLibreBelgique", "Mulderville".
> Sur les blogs: CriticsOnline et SebInParis, "AuBoutDuMonde".
> "Le Monde selon Bush" : le documentaire de William Karel sur la politique saoudienne de la famille Bush.
> L'analyse de "VoltaireNet".

24/02/2006

Le 'Little Bouddha' de Bara (Nepal)


Caricatures et Sensationnalisme (suite)

Après les caricatures danoises assimilant tous les musulmans à de dangereux terroristes, c’est au tour de la communauté bouddhiste de faire l’objet de campagnes de presse d’une stupidité consternante (voir aussi ici).

Les faits : un adolescent de 15/16 ans effectue depuis mai dernier une retraite méditative, conformément aux prescriptions bouddhistes qui prévoient une durée de 3 ans, 3 mois et 3 jours. Habitant la région, il jeûne en méditant sous un banian, non loin de l’endroit où le Bouddha historique l’avait lui-même fait.

A partir de là, un certain nombre d’esprits simples et/ou mal informés voudraient en faire la 'réincarnation' de Siddharta Gautama. Une affirmation particulièrement stupide, qui montre la parfaite méconnaissance de l’Histoire et des doctrines bouddhistes par les journalistes occidentaux qui propagent cette information. En effet, l’Eveil du Bouddha est censé lui avoir permis d’atteindre le Nirvana, interrompant par définition la chaîne de ses renaissances.
Ram Bahadur Banjan, n’a lui-même, et pour cause, jamais reconnu être la réincarnation de qui que ce soit. Les occidentaux se font par ailleurs une très fausse idée de la transmigration spirituelle, qui n’a en fait rien à voir avec l’idée chrétienne consistant en la ré-incarnation d’une âme une et indivisible dans un corps tout neuf.
A les écouter, tous les pratiquants de techniques méditatives devraient-ils être considérés comme des Bouddhas ? Y compris les moines chrétiens, les yogis hindous, les chamans indiens ou les soufis musulmans ?
On entretient également une grande confusion sur la notion de jeûne. Dans un Occident où une consommation excessive est 'La' règle de vie, on doute de la possibilité de rester très longtemps sans manger. Pourtant, tous les musulmans jeûnent pendant un mois lors du Ramadan, le Carême chrétien est par définition de 40 jours, une grève de la faim peut atteindre 2 mois, et on ne compte pas les périodes d’hibernation de nombreux mammifères. Par ailleurs, le Bouddhisme n'interdit pas de s'alimenter pendant une longue méditation. Au contraire. Toute attitude extrême dans ce domaine serait contraire au principe de "la voie du milieu".

Journaux et télévision ne font que rester à la surface des choses (le poids de mots simplistes et le choc d'images racoleuses), en y plaquant une mentalité occidentale, sans chercher ni à vérifier les faits, ni comprendre la réalité du terrain, ni les espoirs suscités par un fait inhabituel parmi une population pauvre et peu éduquée.
On y retrouve pourtant le même attrait craintif que pour le tirage du Loto ou les larmes des Vierges miraculeuses au Vietnam (Saigon) ou ailleurs.
Le but recherché est seulement le sensationnalisme, pour ébahir les occidentaux avec des faits exotiques. On reste dans le domaine des monstres de foires du 19ième siècle et des expositions coloniales exhibant des 'sauvages arriérés'. Il aurait évidemment été moins vendeur d’expliquer ce que sont vraiment la méditation, le bouddhisme, son histoire et ses traditions.

A noter : selon la tradition bouddhiste, reprise par certains mouvements new-age, le Bouddha du futur (Maitreya) naîtra en occident (les terres de l’ouest) pendant le règne de Shamballa, (vers 2425 après JC) après une période de guerres et de désolations équivalente à l’Apocalypse chrétienne. On a donc encore le temps d’attendre.

Compléments:
> "LeDevoir" (canadien) du 28/11/05.
> "ParisMatch" (français) du 29/01/06.
> "Envoyé Spécial" (France2) du 23/02/06.
> Des réactions sur un blog, ainsi que sur "Bouddhisme et Occidentalité".
> Un peu plus d’infos (en anglais) sur "BuddhistChannel".
> "La Méditation pour les Nuls": pour une approche de la méditation simple et compréhensible par tous.
> Les aspects cliniques et médicaux de la méditation sur "PasseportSanté", "Zen-Deshimaru" et "DeepSound Blog".
> "La Rencontre du Bouddhisme et de l’Occident", pour un récit des incompréhensions occidentales sur le Bouddhisme depuis Alexandre le Grand jusqu’à aujourd’hui.
> Le film "Samsara" : pour une vision plus réaliste de la méditation dans un environnement himalayen. Voir aussi cette critique.

19/02/2006

Le Nouveau Monde (The New World)

Le Paradis Perdu de Pocahontas

Encore un superbe film de Terrence Malick, aussi sensitif et habité que "The Thin Red Line". Comme beaucoup d'européens, je ne connaissais que vaguement la légende de Pocahontas, pourtant un des mythes fondateurs des USA, n’ayant même pas vu le dessin animé de chez Disney.
J’ai été ébloui. On retrouve dans cette histoire tout le tragique des amours d’Hélène et Pâris [1], ou celui des "Dames du Lac" de Marion Zimmer Bradley [2] qui conte la fin de la civilisation druidique britannique colonisée par le christianisme médiéval romain.
Le monde indien est une civilisation chamanique basée sur le respect de la Nature, du rythme des saisons, où règne une vraie harmonie entre les hommes et les autres occupants de l’Univers. En cela, il s’oppose totalement aux valeurs occidentales où les techniques, les conventions, la soif du profit sans limites, l’intolérance religieuse conduisent à la pollution de l’environnement, aux conflits de personnes, à l’exploitation systématique d’autrui. Cela est bien montré dans le film par les chercheurs d’or mourant de faim, la disparition des poissons, le cannibalisme, les rebellions continuelles, les terres dénudées, le fort boueux et insalubre, les maladies causées par cet environnement malsain.
Le film prend principalement le point de vue de Pocahontas, depuis l’arrivée des bateaux jusqu’à la découverte de la cour du roi James, des maisons de pierre et des jardins 'à la française'. Elle est la victime innocente de ce choc des cultures, trompée par ses sentiments, incapable d’imaginer le double langage de John Smith, aventurier aventureux pour qui la fuite en avant est une seconde nature, et incapable d’apprécier le bonheur quand il se présente à lui.
Pocahontas, comme "Mme Butterfly" de Puccini quelques siècles plus tard, finit littéralement tuée par l’occident, la maladie qui l’emporte mais aussi et surtout l’impossibilité de s’accorder à un monde dont les valeurs ne sont pas les siennes. L’Amour dans ce contexte n’est fait que d’incompréhensions mutuelles, que ce soit avec John Smith ou avec John Rolfe, et est voué à l’échec malgré le désir commun et les concessions réciproques.
L’échec de cet amour est aussi celui de l’Utopie, celui de créer une société nouvelle débarrassée de ses défauts, telle que la rêve John Smith en débarquant en Virginie.
Comme Adam et Eve croquant la pomme, Pocahontas et John Smith inaugurent aussi malgré eux une ère de violence, de trahisons et de douleurs [3] et contribuent à la fin du paradis originel [4].
Exit donc le rêve d’une nation métisse dont ils auraient été les fondateurs, les héros trop immatures n’étant pas à même d’endosser le poids de l’Histoire, et début du génocide de la nation indienne repoussée toujours plus loin par le fer et le feu [5].
Le film retranscrit très bien cela, avec un rythme lent, s’arrêtant sur chaque brin d’herbe, nous laissant savourer le chant des oiseaux, le glougloutement de l’eau ou le bruissement du vent dans les branches. Peu de dialogues, majoritairement intérieurs, mais les hésitations, les silences et les expressions des corps et des visages sont souvent plus parlants que bien des scénarios bavards. Q’Orianka Kilcher (15 ans!) notamment, illumine l’écran de sa présence.
A voir donc par tous ceux qui ne sont pas allergiques à un cinéma méditatif, à mille lieux des films 'historiques' habituels (comme le médiocre "1492" de Ridley Scott, par exemple).

Note: 8/10

Compléments :
> Fiche Cinéfil.
> Le site du film (vf).
> Rappels historiques: Pocahontas et les indiens de Virginie.
> Les critiques quasi-unanimes de Critikat, Excessif, CommeAuCinéma, Fluctuat, FilmDeCulte, Ecran Large, LeMonde, Cronic’art, Mulderville.
> Sur les blogs: CriticsOnline et SebInParis.

Connexions :
[1] à voir et lire: "La Guerre de Troie n’aura pas lieu" de Giraudoux sur le poids du destin, et l’impossibilité pour quelques individus de s’opposer à une catastrophe annoncée.
[2] voir également "Les Brumes d’Avalon" très bonne adaptation faite par TNT et disponible en DVD.
[3] sur la violence à l’origine de la société américaine moderne, voir "Bowling for Columbine" de Michael Moore, "Gangs of New York" de Martin Scorcese ou "A History of Violence" de David Cronenberg.
[4] Cf. "Le Paradis Perdu" de John Milton, traduit par Chateaubriand.
[5] Cf. "Le Dernier des Mohicans" d'après Fenimore Cooper.

16/02/2006

Campagne 'Stop Pub' 2006 de l’ADEME

Gaspillage de papier: Non Merci!

Chaque année 1 million de tonnes de prospectus, publicités et journaux gratuits non sollicités sont déposés dans les boites à lettres françaises (environ 40 kg par foyer).
Comme pour le spam de nos messageries électroniques, cette avalanche de paperasse part en général directement à la poubelle sans être lue. Elle nous coûte néanmoins très cher, environ 200 € la tonne pour sa collecte et son traitement par la collectivité, sans compter le surcoût des produits qui font l’objet de ces publicités massives.
Il n’existe malheureusement pas en France de réglementation permettant de limiter cette agression permanente.
A l’initiative du ministère de l’Ecologie et du Développement Durable, l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) diffuse un autocollant 'Stop Pub', analogue à ceux qui sont obligatoires en Europe du Nord. En 2004, lors d’une précédente campagne, 3 millions d’autocollants avaient déjà été distribués, permettant de toucher environ 5% des foyers français. Même si ces autocollants ne sont pas toujours très respectés par les distributeurs, ils apportent néanmoins un progrès sensible, les 2 principales entreprises de distribution, Mediapost (filiale de LaPoste) et Adrexo, s’étant engagées à en tenir compte.
L’objectif de cette année est de toucher 15% de la population, correspondant aux 15% de personnes déclarant ne jamais tenir compte des prospectus distribués par ce canal.
La marge de progression est donc importante, et permettrait une économie non négligeable pour tous les acteurs de la filière.
Malheureusement, les autocollants ne sont disponibles que par l’intermédiaire des collectivités locales, à moins de télécharger et d’imprimer soi-même le modèle fourni, ou d'utiliser ceux qui sont diffusés par certains magasins et associations.
Par ailleurs, vu le peu de publicité faite à cette campagne, on peut douter de son efficacité, à moins qu’elle ne soit relayée par les associations écologistes et anti-pubs.

Compléments :
> Plus d’infos sur le site de l’ADEME.
> Le site des Anti-Pubs.
> l’action des magasins Auchan.

12/02/2006

La Véritable Histoire du Petit Chaperon Rouge (Hoodwinked!)

Promenons-nous dans les bois

La bonne surprise du mois!
Une parodie dans la lignée de "Shrek", en moins 'crado', visible aussi bien par des enfants que par des adultes, grâce aux nombreuses références cinématographiques sous-jacentes (les films noirs des années 50, les Tex Avery, les James Bond, "Usual Suspects", "Mission Impossible", "XXX", "Pulp Fiction", "l’Age de Glace", …).

La structure à la "Rashomon", où chacun des principaux personnages raconte son point de vue, permet de confronter les réalités partielles, et s’apercevoir que la Vérité est complexe et pas facile à saisir au premier abord.
On est loin des mièvreries à la Disney, y compris dans les quelques chansons à clefs multiples. Les seconds rôles ont une vraie personnalité et ne servent pas seulement de faire-valoir. La critique sociale pointe également un peu le bout de son nez avec le loup, coupable à priori du 'délit de sale gueule', ou les faillites en série causées par une volonté de domination monopolistique.

Certes l’animation est un peu rigide, les personnages pas très beaux, les décors en carton-pâte numérique, mais on s’y fait rapidement, grâce à la qualité du scénario, sans temps morts et à l’humour constant.
Il faut quand même savoir que c’est une petite production indépendante, au budget loin de celui des grands studios. On rêve à ce que ça aurait donné s’ils avaient eu les moyens des nombreux navets sortis récemment ("Gang de Requins", "Chicken Little", "Robots", "Vaillant", …)
Bref, un petit film indispensable pour rire un bon coup et se remettre de la déception des "Bronzés 3".

Note : 9/10



Compléments :
> La fiche Cinéfil.
> Le site du film (vf).
> Infos sur sa génèse sur Excessif et CommeAuCinéma.
> Quelques bonnes critiques sur Excessif, Critikat et DvdCritiques.