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02/05/2006

La Rencontre du Bouddhisme et de l'Occident

La Longue Marche du Bouddhisme vers l'Ouest.

Il aura fallu près de 2500 ans pour que le Bouddhisme finisse par s’implanter durablement en Occident, à la suite de l’exode massif des tibétains fuyant l’invasion chinoise. Jamais aucun mouvement spirituel n’aura mis autant de temps à se déployer hors de ses régions d’origine. Il est vrai que le Bouddhisme est l’une des seules (la seule restante ?) à ne s’être jamais imposée par les armes contre les religions en place.

Ses premiers pas hors d’Asie sont largement méconnus. S’il est probable que des textes et des moines ont très tôt voyagé le long de la Route de la Soie, aucune trace écrite n’en est restée. Tout au plus peut-on relever une possible influence de certains concepts sur ce qui deviendra un jour le Christianisme (Jésus est d'ailleurs supposé par certains avoir passé une partie de sa jeunesse en Inde [1]).
Les premiers textes datent de la redécouverte de l’Orient à partir du Moyen Age par les explorateurs, marchands (Marco Polo), missionnaires jésuites, colonisateurs, etc., propagateurs de légendes telles que celle de Saint Josaphat (récit christianisé de la vie du Bouddha) ou de celle du royaume du prêtre Jean (inspirée des théocraties lamaïstes ?) successeur présumé de l’apôtre Saint Thomas, ainsi que des fantasmes liés à des territoires inaccessibles (Chine d’abord, Tibet ensuite).

Tout au long de ces époques, on remarque une profonde méconnaissance des doctrines, une incompréhension totale des pratiques, une tendance à vouloir toujours tout ramener à une pure interprétation européenne aux dépends de la réalité du terrain. Il faudra attendre le 19-ième siècle, à la suite des explorations consécutives à la colonisation et des études linguistiques sur les langues anciennes de ces régions (sanscrit, pali, tibétain, chinois ancien) pour s’apercevoir que le Bouddhisme n’était qu’une seule et même religion, au-delà de ses différentes formes.
Le Bouddhisme fait alors l’objet d’une comparaison systématique avec le Christianisme, soit pour glorifier ce dernier (en soulignant les points positifs en commun), soit pour remettre en cause sa prétention à l’universabilité (Jules Ferry et les anti-cléricaux de la 3-ième République Française). Mais il est en général confondu avec la philosophie de Schopenhauer, avec laquelle il possède de nombreux points de convergence, entraînant l’idée fausse que le Bouddhisme est une pensée nihiliste.
On le voit également très utilisé comme alibi pour la renaissance de doctrines ésotériques au sein de sociétés secrètes ou de sectes initiatiques, comme l’avaient été avant lui l’hindouisme ou les 'mystères' égyptiens, et le sujet de nombreux livres bidons, prétendument écrits par des sages tibétains, décrits comme les derniers dépositaires de la sagesse des Anciens habitants de l’Atlantide.

Au début du 20-ième siècle, de nombreuses interactions se créent avec les psychanalystes et les philosophes (Freud, Jung, Huxley, etc.), notamment via le Zen japonais, ce qui conduira à la révolution culturelle et spirituelle des années 60-70 (Allen Ginsberg, mouvement beatnik, routards partant à Katmandou).
Le tournant majeur se fait au moment de l’exode des lamas tibétains en occident suite à l’invasion chinoise de 1959 et la prédiction qui en avait été faite au 16-ième siècle [2], conduisant à la re-création de nombreux monastères en Europe et aux Etats-Unis, permettant aux différentes écoles d’assurer la continuité de leur lignée et de leurs spécificités.

Actuellement, le remplacement des maîtres nés en Asie par des moines nés et éduqués en Occident permet d’espérer une nouvelle mutation du Bouddhisme vers une doctrine plus laïque et plus universelle. L’échec des idéologies purement matérialistes (écroulement du communisme, faillite conceptuelle de l’idéologie libérale consumériste), la crise du Catholicisme et la montée des intégrismes dogmatiques (fondamentalistes chrétiens, Hébreux, Islamistes, Orthodoxes, Hindous) lui ouvrent un boulevard pour tous ceux qui recherchent une idéologie pragmatique, responsable, universelle, ouverte sur le monde, respectant l’Humanité et la Nature, alliant éthique individuelle et collective, où la science matérielle occidentale moderne se mélange facilement avec une science du mental qui a fait de l’expérience introspective son principal outil.

L’ouvrage de Frédéric Lenoir, philosophe, sociologue et historien des religions à la vaste culture, permet de revisiter en détail ces 2000 ans d’Histoire qui, dans une république laïque digne de ce nom, devraient être enseignés à tous afin d’éviter les incompréhensions, caricatures et amalgames trop souvent rencontrés [3].

Note: 10/10

[1] Voir "Qui était Christ ?" et "Jésus était un sannyasi hindou" sur le site du yogi hindou Ramsuratkumar Bavan, ainsi que "Jésus et les Esseniens" sur les influences possibles du Bouddhisme sur la secte des Esseniens.
[2] «Quand volera l’oiseau de fer et que les chevaux auront des roues, le peuple tibétain sera dispersé sur terre, telles les fourmis, et le Dharma viendra dans le monde des visages rouges» prophétie tibétaine du 16-ième siècle, souvent attribuée rétroactivement à Padmasambhava, complétée par la prédiction du 13-ième Dalaï-lama (1931): «Il se pourrait qu'ici, au centre du Tibet, la religion et l'administration séculière seraient attaquées à la fois de l'extérieur et de l'intérieur. A moins que l'on sache garder notre propre pays, il arrivera alors que les Dalaï et Panchen Lamas seront brisés et resteront sans nom. En ce qui concerne les monastères, les moines et les nonnes, leurs terres et autres propriétés seront détruites. Les coutumes administratives ancestrales seront affaiblies. Les fonctionnaires de l'Etat religieux et séculier, se verront saisis de leurs terres et de leurs autres possessions. Et, eux-mêmes devront servir leurs ennemis, ou errer dans le pays comme des mendiants. Tous les êtres seront plongés dans des grandes difficultés, les jours et les nuits sombreront lentement dans les souffrances. Ne soyez pas des traîtres vis à vis de la communauté religieuse ou de l'Etat en travaillant pour un autre pays que le vôtre. Le Tibet est heureux, et dans le confort maintenant. La situation est entre vos mains.».
[3] Cf. l’affaire Ram Bahadur Bomjon (le 'Little Bouddha' du Népal).

08/03/2006

Maria Dolorès, de Wayn Traub


Yin et Yang: La Vierge et la Madone.

Difficile de raconter "Maria Dolorès", première grande création (2002) de Wayn Traub, dandy esthète dans le droit fil d’Oscar Wilde. La pièce est longue, complexe, foisonnante et brasse les grands thèmes philosophico-religieux de notre société occidentale. A la représentation de mardi, quelques rares personnes (âgées) sont parties au bout d’une demi-heure, quelques autres ont hué à la fin, mais les applaudissement ont été nourris, preuve que le public parisien avait apprécié, même si les conversations montraient qu’il n’avait apparemment pas tout compris.

La pièce mixte la performance de 2 actrices sur scène, avec un film diffusé dans le fond qui explique et commente l’action de façon décalée. Ce dispositif est proche du 'benshi' japonais, où des comédiens jouent et commentent devant un film muet. Le dispositif scénique est sobre, surmonté d’une couronne d’épines lumineuses, et joue essentiellement sur les jeux de lumières, et les interactions entre la scène et le film diffusé en continu.

Maria Dolorès, c’est Maria et Dolorès (les religieuses), Marie et Dolly (les actrices), la Vierge et les douleurs (de l’enfantement, des contritions), les 2 faces d’une même pièce, les 2 aspects d’une même réalité Yin et Yang. La pièce joue en permanence sur les oppositions: jeune/vieille, blonde/brune, classique/moderne, blanc/noir, lumières/ténèbres, vie/mort, vierge/démon, etc. Les thèmes abordés sont ceux de la vie, de la vieillesse, de la mort, de la naissance, du désir, des illusions, des regrets...
Sur scène, le conflit s’installe entre la Mère supérieure d’un couvent médiéval, orpheline de naissance, dont les pénitences sont un chemin pour trouver la voie vers sa mère, assimilée à la Vierge Marie, et la jeune novice, spontanée, qui accumule les visions d’une 'Dame' auréolée de lumière, mais munie d’une faux et d’un miroir.
En parallèle dans le film, 2 actrices belges, l’une jeune-wallonne-blonde-moderne-delurée, l’autre âgée-flamande-brune-classique-complexée, se préparent à jouer la pièce et s’immergent dans leurs rôles. Elles sont filmées en permanence par une caméra de télé-réalité, le réalisateur étant le compagnon de l’une et devenant l’amant de l’autre. On y trouve aussi les tractations des producteurs, un dessin animé iconoclaste sur la relation Joseph/Marie, un concert symphonique, une pseudo émission littéraire confrontant l’auteur supposé du texte et un critique professionnel jargonnant.
Le film est donc à la fois un écho moderne de l’histoire de base, un 'making-off', un commentaire de l’action, une critique du milieu théâtral traditionnel, le tout s’interpénétrant et permettant une meilleure compréhension de l’ensemble.

A la fin, la boucle est bouclée telle un ruban de Möbius qui se retourne sur lui-même. Brune et blonde ont échangés leurs rôles, la jeune est devenue mère, on retrouve la brune dans la peau de l’enfant orpheline, l’apparition invisible est devenue visible, la vivante est morte, la morte a repris vie. Les différents éléments disparates ont finit par converger en une impressionnante cohérence, mettant en évidence la qualité du travail d’écriture et de montage des concepteurs.
Wayn Traub, concepteur-scénariste-scénographe-chorégraphe-metteur en scène, participe également, par le mime et une voix off, en assurant un prologue et un épilogue, proche du théâtre classique élisabéthain (Cf. "Roméo & Juliette" par exemple). Les actrices-comédiennes-scénaristes sont particulièrement impressionnantes, de par leurs performances scéniques et filmiques.

En bref, un petit chef d’œuvre, à recommander à ceux que n’effraient pas une création artistique difficile, mais très stimulante pour l’esprit de celui qui la regarde. Par contre, ceux qui n’ont pas aimé "Le Nouveau Monde" ou "Syriana", par exemple, feront bien de ne pas s’y frotter, ils ne pourraient qu’en sortir déçus.

Compléments :
> Wayn Traub vu par L’Humanité (France).
> Wayn Traub au Théatre de la Ville de Paris en mars 2006.
> Wayn Traub au Festival de Genève en septembre 2005.
> Le film "Maria Dolores" qui est sorti de façon indépendante en 2004.
> "El Automovil Gris" : un benshi nippo-mexicain, passé le 01/04/2004 au Festival de l’Imaginaire de la Maison des Cultures du Monde (Alliance Française, Paris).
> "Epidemic" de Lars Von Trier pour un mélange fiction/réalité analogue dans un univers cinématographique.

24/02/2006

Le 'Little Bouddha' de Bara (Nepal)


Caricatures et Sensationnalisme (suite)

Après les caricatures danoises assimilant tous les musulmans à de dangereux terroristes, c’est au tour de la communauté bouddhiste de faire l’objet de campagnes de presse d’une stupidité consternante (voir aussi ici).

Les faits : un adolescent de 15/16 ans effectue depuis mai dernier une retraite méditative, conformément aux prescriptions bouddhistes qui prévoient une durée de 3 ans, 3 mois et 3 jours. Habitant la région, il jeûne en méditant sous un banian, non loin de l’endroit où le Bouddha historique l’avait lui-même fait.

A partir de là, un certain nombre d’esprits simples et/ou mal informés voudraient en faire la 'réincarnation' de Siddharta Gautama. Une affirmation particulièrement stupide, qui montre la parfaite méconnaissance de l’Histoire et des doctrines bouddhistes par les journalistes occidentaux qui propagent cette information. En effet, l’Eveil du Bouddha est censé lui avoir permis d’atteindre le Nirvana, interrompant par définition la chaîne de ses renaissances.
Ram Bahadur Banjan, n’a lui-même, et pour cause, jamais reconnu être la réincarnation de qui que ce soit. Les occidentaux se font par ailleurs une très fausse idée de la transmigration spirituelle, qui n’a en fait rien à voir avec l’idée chrétienne consistant en la ré-incarnation d’une âme une et indivisible dans un corps tout neuf.
A les écouter, tous les pratiquants de techniques méditatives devraient-ils être considérés comme des Bouddhas ? Y compris les moines chrétiens, les yogis hindous, les chamans indiens ou les soufis musulmans ?
On entretient également une grande confusion sur la notion de jeûne. Dans un Occident où une consommation excessive est 'La' règle de vie, on doute de la possibilité de rester très longtemps sans manger. Pourtant, tous les musulmans jeûnent pendant un mois lors du Ramadan, le Carême chrétien est par définition de 40 jours, une grève de la faim peut atteindre 2 mois, et on ne compte pas les périodes d’hibernation de nombreux mammifères. Par ailleurs, le Bouddhisme n'interdit pas de s'alimenter pendant une longue méditation. Au contraire. Toute attitude extrême dans ce domaine serait contraire au principe de "la voie du milieu".

Journaux et télévision ne font que rester à la surface des choses (le poids de mots simplistes et le choc d'images racoleuses), en y plaquant une mentalité occidentale, sans chercher ni à vérifier les faits, ni comprendre la réalité du terrain, ni les espoirs suscités par un fait inhabituel parmi une population pauvre et peu éduquée.
On y retrouve pourtant le même attrait craintif que pour le tirage du Loto ou les larmes des Vierges miraculeuses au Vietnam (Saigon) ou ailleurs.
Le but recherché est seulement le sensationnalisme, pour ébahir les occidentaux avec des faits exotiques. On reste dans le domaine des monstres de foires du 19ième siècle et des expositions coloniales exhibant des 'sauvages arriérés'. Il aurait évidemment été moins vendeur d’expliquer ce que sont vraiment la méditation, le bouddhisme, son histoire et ses traditions.

A noter : selon la tradition bouddhiste, reprise par certains mouvements new-age, le Bouddha du futur (Maitreya) naîtra en occident (les terres de l’ouest) pendant le règne de Shamballa, (vers 2425 après JC) après une période de guerres et de désolations équivalente à l’Apocalypse chrétienne. On a donc encore le temps d’attendre.

Compléments:
> "LeDevoir" (canadien) du 28/11/05.
> "ParisMatch" (français) du 29/01/06.
> "Envoyé Spécial" (France2) du 23/02/06.
> Des réactions sur un blog, ainsi que sur "Bouddhisme et Occidentalité".
> Un peu plus d’infos (en anglais) sur "BuddhistChannel".
> "La Méditation pour les Nuls": pour une approche de la méditation simple et compréhensible par tous.
> Les aspects cliniques et médicaux de la méditation sur "PasseportSanté", "Zen-Deshimaru" et "DeepSound Blog".
> "La Rencontre du Bouddhisme et de l’Occident", pour un récit des incompréhensions occidentales sur le Bouddhisme depuis Alexandre le Grand jusqu’à aujourd’hui.
> Le film "Samsara" : pour une vision plus réaliste de la méditation dans un environnement himalayen. Voir aussi cette critique.

10/02/2006

Le respect du aux prophètes...

« Les groupes des Etats de la Ligue arabe et de l'Organisation de la conférence islamique (OCI) aux Nations Unies se sont déclarés profondément préoccupés par les développements résultant de la publication des caricatures représentant le Prophète Mohamed sous prétexte de la "liberté d'expression".

Dans un communiqué, diffusé mercredi à New York, le groupe arabe réaffirme ainsi la nécessité pour les gouvernements des pays où les caricatures blasphématoires ont été publiées de condamner officiellement ces dessins et d'appeler leurs journaux à contribuer à l'approfondissement du dialogue entre les civilisations, les cultures et les religions et à réaffirmer leur respect de toutes les religions et les croyances.
"Ceci contribuera à calmer la colère populaire dans les pays islamiques", colère derrière les actes regrettables de violence qui ne correspondent pas aux principes et valeurs de tolérance de l'Islam, souligne le groupe arabe.
Il rappelle encore une fois la nécessité pour l'ONU et la Communauté internationale de remédier au mal qui a été fait à l'Islam et de veiller au respect de tous les religions et prophètes.
Le Groupe arabe appelle également l'ONU et la Communauté internationale à prendre les mesures nécessaires pour garantir que de tels agissements ne se répètent plus jamais à l'avenir et pour en assurer à cet égard l'entière responsabilité aux Etats.
Pour sa part, le Groupe des Etats de l'Organisation de la Conférence Islamique aux Nations Unies a lui aussi appelé dans un communiqué similaire les pays occidentaux à entreprendre des actions pour éviter à l'avenir de telles exactions.
Il a également appelé les manifestants musulmans à la retenue et au calme, une conduite pacifique qui correspond à l'esprit de la religion islamique.
Le Groupe de l'OCI exhorte également les Etats, les organisations régionales, les ONG, les organismes religieux et les médias à promouvoir le respect dû aux religions et à éviter la diffamation touchant les religions, les prophètes et les croyances qui sont de nature à inciter à l'intolérance, à la discrimination, à la haine et à la violence.
» (Aujourd’hui LeMaroc)

C’est bien dit, mais ça serait plus crédible si ce type de discours était accompagné d’actes du même genre.

En mars 2001, les talibans afghans détruisaient les 2 Bouddhas géants de Bamiyan, simplement coupables d’être la représentation d’un être vivant, par ailleurs fondateur, au même titre que Mahomet, d’une des plus importantes religions mondiales.
Les photos des destructions avaient été fièrement affichées dans de nombreux pays musulmans (j’en ai vu au Pakistan en avril 2001) sans provoquer de réactions des gouvernements en place.
On espère donc que les responsables arabo-musulmans en profiteront enfin pour condamner ces exactions, et s’excuser de cet outrage pour toute la communauté bouddhiste.

Compléments:
> Les talibans contre Bouddha sur le site de L'Association Internet pour la promotion des Droits de l'Homme (photos ici).
> La situation en 2002 dans la "Lettre de l’Université Bouddhique européenne".
> Sur "Buddhist Channel": l'aide apportée par les saoudiens et les pakistanais.
> "Les Bouddhas Géants" un film de Christian Frei, sorti en Suisse et au Canada (DVD disponible en décembre 2006).

05/08/2005

Le Destin

Ombres et Lumières à la veille de la Renaissance occidentale

« La pensée a des ailes, nul ne peut arrêter son envol ».

En ces temps d’intolérance patriotique et religieuse, il est parfois bon de revenir sur notre passé.
C’est ce que fait dans certains de ses films Youssef Chahine, cinéaste égyptien francophone, né dans le creuset cosmopolite qu’est Alexandrie, et parfois interdit par les censures islamistes ou gouvernementales.

Dans "Le Destin" (1997), il reconstitue une tranche de vie du philosophe, juge et médecin Averroès (1126-1198), un des plus grands penseurs du 12-ième siècle, commentateur de l’œuvre d’Aristote, sage, érudit, généreux, bon vivant.
Formaté comme une comédie musicale de style 'Bollywood', le film profite des intermèdes dansés et chantés pour souligner ce côté chaleureux et humain du personnage.

L’action se passe en Andalousie, riche province de l’empire almohade (où cohabitent paisiblement musulmans, juifs, chrétiens, gitans), à une époque où les royaumes catholiques nord-européens vivent dans la crasse, l’ignorance et la misère.
Une période où les bûchers se multiplient pour éliminer les ‘hérétiques’ coupables d’avoir professé des idées contraires aux dogmes du Vatican.

C’est un film grave, où obscurantistes de tout poil (Inquisition ou groupes islamistes) font tout pour subvertir les consciences, et pour éliminer toute opposition rationnelle via les mouvements de foules et les autodafés.
C’est l’occasion de montrer comment un jeune homme moralement faible et désœuvré, vivant sans perspectives d’avenir, peut se faire endoctriner par des intégristes prêts à tout pour prendre le pouvoir.

Dans ce contexte, Averroès, tel Gandhi ou Martin Luther King, prône l’amour du prochain, la tolérance et le partage, seules solutions pour une coexistence pacifique et mutuellement enrichissante.
Pour lui, philosophe des lumières avant la lettre, la connaissance universelle, la science, les arts sont un remède à la haine, le rigorisme, le fanatisme, l’obscurantisme.
Il refuse le fatalisme, et enseigne que chacun peut être maître de sa destinée, en forgeant son caractère et sa morale aux feux de la connaissance.

En bref, un film moderne, entraînant, réaliste, militant, qui bien que n’étant pas non plus une parfaite reconstitution historique, est assez loin des clichés véhiculés dans le "Kingdom of Heaven" de Ridley Scott (ah! ces arabes qui apprennent des occidentaux comment creuser un puit, ça m‘a fait beaucoup rire).

> Fiche Cinéfil