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04/10/2008

Wolfkers par Guy Cassiers

WolfkersTriptyque du Pouvoir (2): Huis Clos.

"Wolfskers" est inspiré des 3 long métrages d'Alexandre Sokourov ("Moloch", "Taurus" et "Le Soleil") dont je n'avais malheureusement vu que le dernier, leur diffusion ayant été assez confidentielle.
S'il est possible de voir la pièce sans connaitre ces 3 films, il me semble nécessaire de connaître un peu la vie des 3 protagonistes en question, Wolfskers n'en reprenant que quelques scènes clef, sans beaucoup approfondir la psychologie des personnages. Deux autres films récents s'étaient par ailleurs déjà penchés sur le sujet, à savoir "La Chute" d'Olivier Hirschbiegel (également sur les derniers jours d'Hitler) et "Khroustalov, ma voiture" d'Alexeï Guerman (sur la fin de Staline, étrangement semblable à celle de Lénine) tous les 2 éminemment recommandables.

Le but de Wolfskers est de comparer ces 3 destins en même temps sur la même scène, en en soulignant les similitudes, les personnages secondaires étant joués par les mêmes acteurs.
Si ça marche plutôt bien pour Hitler et Lénine, ça a plus de mal à passer avec HiroHito dont la vie est sensiblement différente. Si les 2 premiers sont devenus des despotes du fait de leur volonté propre, et n'ont cessé leur 'carrière' que du fait de la maladie et de la mort, le dernier a eu un parcours qui s'est déroulé en sens inverse. Né pour régner, considéré comme un dieu vivant de par son ascendance, il a su évoluer vers une condition d'homme ordinaire plus proche de ses désirs.
De même si les serviteurs, courtisans et personnages féminins sont assez passe-partout pour rentrer dans le cadre imposé, il est difficile de voir en Speer, Staline et McArthur des personnages équivalents, notamment au vu de leur parcours ultérieur.

Le discours de Wolfskers est donc très réducteur par rapport à celui de Sokourov/Arabov. Il souligne l'hypertrophie des Egos qui conduit à nier l'individualité des autres, ravalés au rang de simples accessoires. Il rappelle que le pouvoir corrompt de façon consciente ou inconsciente.
Mais l'exercice se révèle assez scolaire et décevant, niant les spécificités de chacun des dictateurs et du contexte particulier à chaque époque.
Le dispositif scénique habituel à Cassiers est également assez mal utilisé, avec seulement quelques gros plans de vidéos floues. On aurait aimé voir utilisées quelques photos historiques, comme par exemple celle de McArthur avec HiroHito, seulement matérialisée par des effets de flashs.

Dans le même registre de 3 individualités enfermées dans un lieu clos en attendant leur jugement dernier, et dont on examine les crimes de leurs vies passées et leur future déchéance perpétuelle, Sartre avait réussi à faire quelque chose de beaucoup plus simple et nettement plus efficace.


Note: 6/10

Compléments :
> Le spectacle sur les sites du Théatre de la Ville, du Festival d'Automne et de la ToneelHuis.
> Les dates de la tournée sur LesArchivesDuSpectacle.
> Le dossier pédagogique du CRDP Paris.
> Les analyses et critiques de ThéatreContemporain, RueDuThéâtre, Telerama, SpectateurTurbulent, KissingAndHorridStrife, Les3Coups, L'Humanité, Tadorne.

27/09/2008

Mefisto for Ever par Guy Cassiers

Mefisto for EverTriptyque du Pouvoir (1): To Be Or Not To Be ?

"Hop Là, Nous Vivons!", présenté l'année dernière au Théâtre de la Ville, relatait le cas de conscience d'un militant d'extrême-gauche au moment de l'avênement du nazisme dans l'Allemagne des années 30. Militant pur et dur, il refusait évidemment toute collaboration avec le pouvoir en place, quitte à passer pour fou dans ce monde où les valeurs morales étaient complètement inversées.

"Mephisto" raconte la même histoire, mais vue du côté de celui qui a choisi de collaborer avec le nouveau régime, prétextant pouvoir mieux résister en étant à l'intérieur du système.
Ecrit en 1936, le récit de Klaus Mann, revu par Tom Lanoye et mis en scène par Guy Cassiers, est assez prophétique de ce que fut la réalité pour tous les intellectuels qui choisirent de rester au lieu de fuir à l'étranger. De compromis en compromissions, de petits arrangements avec la réalité à l'obéissance servile, le collabo finit par accepter de faire tout ce qu'il refusait, y compris et surtout le pire. On est loin des pastiches d'Ernst Lubitsch ou de Mel Brooks.

Théâtralement, la pièce est un vrai régal, compilant de larges extraits de Shakespeare (Hamlet, Roméo et Juliette, Jules César, Richard III), Goethe (Faust), Tchékhov (La Cerisaie). Les dialogues de la pièce jouée entrent alors en résonance avec la situation en cours, multipliant les sous-entendus et permettant un éclairage décalé des événements vécus par les 'héros'.
La censure devenant de plus en plus implacable, toute œuvre favorisant une réflexion personnelle devient suspecte et est éliminée au profit d’épopées nationalistes ou infantilisantes. Le répertoire du théâtre est en effet marqué par les récits de déchéances individuelles et collectives.

L’histoire n’est pas idyllique car elle ne fait pas l’impasse sur les difficultés des émigrés politiques, également mal reçus dans les démocraties occidentales, pourtant censées incarner leur idéal.
A noter, le personnage de l’acteur facho qui se retrouve trahi par ceux qu’il a porté au pouvoir. Un parcours à méditer pour les tenants de l'extrême droite flamande en Belgique, aux idéaux racistes et xénophobes, mais qui pourrait tout aussi bien s’appliquer à la France sarkoziste qui a vu nombre d’intellectuels prétendument de gauche retourner leur veste pour quémander prébendes et honneurs.

Les acteurs sont bons, la mise en scène inventive. L’utilisation de la langue flamande n’est pas gênante, car assez proche de l’allemand dans ses sonorités. Les seul bémols: la longue entracte d'une demi-heure (avec évacuation de la salle) alors qu'il n'y avait pas grand-chose à changer sur scène, et la mauvaise vision des sous-titres par les premiers rangs, l'écran très bas étant beaucoup trop proche du public. Heureusement, la même erreur n'a pas été faite pour Wolfskers (Triptyque du Pouvoir n°2).

Le personnage principal ne vit que par et pour le théâtre, et est assez représentatif d'une certaine intelligentsia imbue d’elle-même et prétendant incarner un rôle de guide moral et de formateur culturel. Malgré les fanfaronnades, le verbe est creux, la pensée est formatée par le milieu ambiant, et la marionnette est facilement manipulée par les puissants, qui jouent d’abord sur l’orgueil et la vanité, sans avoir besoin d’user de menaces physiques. L’absence de pensée personnelle s'exprime magistralement quand il est confronté à ceux qui ont évolués pour pouvoir survivre. Un ‘Je’ qui ne pense pas, peut-il prétendre Être ?


Note: 8/10



Compléments :
> Le spectacle sur les sites du Théatre de la Ville, du Festival d'Automne et de la ToneelHuis.
> Les dates de la tournée sur LesArchivesDuSpectacle.
> Les analyses et critiques de ThéatreContemporain, Webthéa, RueDuThéatre, Fluctuat, SpectateurTurbulent, MaVieEnStilettos, KissingAndHorridStrife, ChezGalland, OdileQuirrot, Les3Coups, Tadorne.

06/09/2008

Collection L’Autre Guide (Ed. Liana Levi)

Le Japon des JaponaisDes Guides pas comme les Autres.

On trouve à foison sur le marché des guides touristiques censés nous présenter les richesses naturelles et architecturales d’un pays donné. Si on veut approfondir sa connaissance du sujet sans se plonger dans de gros ouvrages indigestes, il est possible de trouver dans les journaux ou magazines des analyses économiques, historiques ou autres, mais traitées de façon assez parcellaires et avec un biais important lié aux connaissances (très) limitées du journaliste signataire des articles.

Autant dire que le premier jour où on débarque de l’avion, on est confronté à un sacré choc culturel, tellement sont grandes nos différences dans la représentation du monde, la façon d’exprimer nos émotions ou se tenir en société. Certains guides mentionnent en passant les ‘drôles de pratiques’ de certaines populations (sous-entendant la supériorité de notre mode de vie sur celle de ces ‘barbares’), d’autres plus honnêtes essaient d’inclure un chapitre de savoir-vivre destiné à ne pas faire trop d’impairs.

L’Inde des IndiensL’ambition de la collection "L’Autre Guide" chez Liana Levi est d’être un guide de civilisation fournissant au lecteur français une bonne représentation de la population étudiée, permettant d’en comprendre les singularités pour ne pas débarquer dans leur pays avec les yeux déformés par nos habitudes coutumières.
La démarche n’est pas nouvelle. D’autres ouvrages dans le passé ("Guides Contacts" chez Solar, collection Autrement, …) ont essayé de fournir le même type d’informations sans arriver à se maintenir dans la durée. Le marché est en effet assez étroit et la rentabilité assez faible face à des guides classiques produits à la chaîne pour un touriste qui ne veut pas trop se remettre en question.
Quoi qu’il en soit la démarche est louable pour approcher rapidement la mentalité d’un pays, sans avoir à picorer ici et là les informations nécessaires.

Le résultat est-il à la hauteur des espérances ?
Après lecture des 3 ouvrages consacrés au Japon, à la Chine et à l’Inde, je ferais un constat mitigé. Si les 2 premiers m’ont paru particulièrement bien exprimer la façon de vivre des populations, leurs invariants culturels, ce qui les rassemblent et ce qui les opposent, le dernier m’a paru être traité de façon assez scolaire, enchaînant les données statistiques, historiques et socio-économiques, sans parvenir à brosser un portrait satisfaisant de ce qui fait « l’âme indienne ».
La collection n’est donc pas homogène, ce qui est dommage, et implique donc soit de feuilleter l’ouvrage avant l’achat, soit de le lire dans une bibliothèque
Mais ceux sur la Thaïlande, la Grèce et l’Italie ayant été appréciés par d’autres lecteurs (voir sur le web), peut-être le raté sur l’Inde n’est-il qu’un accident de parcours isolé.

Compléments :
> Sur le Web: LeJapon.org, EtudiantHumanitaire, NouvelObs, LePetitJournal, VoyageForum.

14/06/2008

Chemins d’Orient (Espace des Arts Mitsukoshi)

Chemins d’OrientVoyages Picturaux le Long de la Route de la Soie.

De 1992 à 2001, les magasins Mitsukoshi nous avaient régalés avec la crème de la crème des artistes japonais (notamment de nombreux "Trésors Nationaux Vivants"). Puis, leur espace d’exposition parisien s’était mis en hibernation, au point qu’on pouvait craindre une fermeture définitive.
Mais, non. Reprise en 2006, la programmation semble redevenir régulière avec 2 expos par an, sur des périodes malheureusement un peu courtes.

En ce moment, nous avons la chance de pouvoir découvrir une rétrospective de HIRAYAMA Ikuo, peintre traditionnel japonais [*] au parcours un peu hors du commun.
Irradié à Hiroshima, premier bénéficiaire d’une bourse de l’Unesco pour étudier en Europe, ayant multiplié les voyages dans tous les pays de la Route de la Soie, il promeut l’universalité de l’Art et la nécessité de l'Echange et de la Mémoire. Il fait d'ailleurs partie des personnalités qui oeuvrent sans relâche pour la préservation du patrimoine culturel mondial.

Vision de la Terre Pure de l’Ouest (Hôkai-ji, Hino)

La sélection de ses œuvres présentées à l’espace Mitsukoshi-Etoile est assez représentative de son style et de sa carrière (Route de la Soie, peintures bouddhistes, scènes traditionnelles japonaises), malgré un échantillon nécessairement réduit par la taille des salles d’exposition.
Seuls regrets : que les grands tableaux soient un peu à l’étroit (manque de recul), et que le sens logique d’accrochage ne soit pas toujours respecté. Il est dommage par exemple que le but des caravanes allant de l’Est vers l’Ouest soit une représentation de Kyoto, alors que l’exposition du "Hirayama Ikuo Silk Road Museum" y met la toile du Forum Romain.

Malgré tout, l’ensemble est superbe, et indispensable pour tout amateur parisien d’Art japonais.

[*] Nihon-ga : peinture effectuée avec des poudres minérales extrêmement diluées dans un liant organique (colle). On multiplie les couches (parfois une centaine) pour donner de l'opacité et de la nuance.

Compléments :
> L'expo sur le site de l'Espace des Arts Mitsukoshi.
> Le site de l'Expo.
> D'autres tableaux de Hirayama Ikuo sur Galery-Sakura.
> L'expo sur le web: Artscape, Dandylan, ArtMichiko, Asia-Tik.

28/05/2008

Babylone (Musée du Louvre)

BabyloneMetropolis, Origines et Fantasmes.

Superbe expo cette saison qui présente la particularité de montrer à la fois la réalité de ce que fut Babylone à partir de ce qu’on en a retrouvé sur le terrain, mais aussi l’influence énorme et majoritairement fantasmée qu’à eu la ville dans l’imaginaire occidental.

Babylone, c’est d’abord la 'Mégapole', construite de façon raisonnée et ordonnée pour être la capitale d’un empire qui est à l’origine des premiers Codes de Lois écrits. On y trouve sous une forme assez imagée ce que nous connaissons maintenant sous le nom de 'Loi du Talion'.
C’est une Cité qui a livré des archives en nombre incommensurable sur des tablettes de terre cuite, permettant de tout connaître de l’organisation de la Société, ses préoccupations, ses mythes fondateurs. Les vitrines fourmillent de textes administratifs, législatifs, topographiques, historiques, diplomatiques, judiciaires, fiscaux, mais aussi mathématiques, astrologiques, divinatoires, médicaux, mythologiques, etc.
Les grandes épopées (Gilgamesh, …) ou les récits initiaux du Déluge et de la Création du Monde (largement plagiés par les auteurs de la Bible) voisinent avec les premiers pas du Zodiaque et de l’Astrologie Occidentale.

Cette première partie archéologique culmine avec les superbes reconstitutions d’animaux qui bordaient la voie sacrée menant au grand Temple de Mardouk via la Porte d’Ishtar.

Queen of the NightLa deuxième partie est tout aussi passionnante.
Après avoir sombrée dans les sables du désert suite au déplacement des centres de pouvoir, Babylone devient la référence absolue des villes mythiques disparues de la surface de la Terre [*] et enflamme l’imagination des auteurs occidentaux.
L’Apocalypse de Saint-Jean diabolise la ville au même titre que Sodome et Gomorrhe, alors que rien ne prouve une quelconque dépravation des mœurs locales.
Les dieux régionaux sont évidemment repeints aux couleurs du démon. Le Dragon tutélaire de la ville fait un Serpent très adéquat (le Jardin d’Eden n’est pas loin). Pazuzu, dieu du vent et protecteur des femmes enceintes, devient un diable des plus effrayants (tout le monde se souvient de lui dans le prologue irakien de l’Exorciste). On assimile la Reine de la Nuit, une Déesse Mère proche d’Isis/Astarté, avec Lilith, la femme-démon qui s’attaque à la ‘vitalité’ des hommes.

Tour de Babel
On confond allègrement la Tour de Babel citée dans la Genèse (assimilée à la ziggourat de Borsippa), avec le grand Temple de Mardouk/Baal dont l’allure évoque plutôt les pyramides mayas.
Symbole de la vanité des Hommes, l’orgueilleuse Babel/Babylone est donc pour des raisons politiques, renvoyée dans l’Axe du Mal pour le profit de Jérusalem censée être la Ville idéale et bénies de(s) dieu(x). On retrouve donc le même antagonisme qu’entre Carthage et Rome, Troie et Sparte, ou … entre Bagdad et Washington. Les mêmes recettes continuent à s’appliquer au cours des siècles.
Tout comme le Salammbô de Flaubert revisitait de façon très fantasmée le Carthage antique, Babylone a également énormément inspiré les dramaturges (Sardanapale de Byron), les peintres classiques (de Bruegel à Delacroix), les cinéastes (Intolérance de D.W.Griffith, Metropolis de Fritz Lang, Rintaro, Inarritu, …), ou les musiciens (du Nabucco de Verdi à Bob Marley). On n’en retrouve malheureusement qu’une faible partie dans cette grande expo, à voir absolument.

[*] : les jardins suspendus, une des 7 merveilles du monde, sont situés dans son périmètre.

Compléments :
> Le mini-site de l'Expo.
> Photos de l'Expo sur LesEchos.
> L'expo sur le web: France24, RFI, LeMonde, LesEchos, Fluctuat, Historia.
> Sur les blogs: AgoraVox, LouvrePassion, CaféGéo, Romanes.
> A lire: "Babylone, à l'Aube de notre Culture" par Jean Bottero (Découvertes Gallimard n°230).