04/01/2006
Lord of War (Vendre des armes est un business comme un autre)
Economie de Marché (gris) et Libre Entreprise
Tous ceux qui ont vu "Le Cauchemar de Darwin" en sont un peu restés sur leur faim.
On y voyait le résultat d'une politique néo-colonialiste européenne sur le terrain africain, avec livraison d'armes en échange de l'exploitation intensive des ressources piscicoles tanzaniennes. L'auteur y interviewait les pilotes des pays ex-soviétiques, les prostituées locales, les gamins des rues, les pêcheurs exploités, les officiels satisfaits, etc. Une seule catégorie d’acteurs manquait à l’appel : les trafiquants d’armes responsables de ce nouveau 'commerce triangulaire'.
Andrew Niccol ("The Truman Show", "Gattaca") s’est penché sur le problème et nous livre ce qui s’apparente plus à un docu-fiction qu’à un 'blockbuster' hollywoodien. Ce film n’a d’ailleurs pu voir le jour que grâce à des capitaux européens et bénéficie du soutien d’Amnesty International.
Ici, pas de 'Happy End'.
Yuri Orlov (Nicolas Cage) est le prototype de ces individus amoraux pour qui, entre le blanc du légal et le noir du franchement illégal, il existe une zone grise où tout est permis du moment qu’il y a des dollars à gagner.
Dans ce domaine on trouve la contrebande de cigarettes ou d’alcool, le passage ou l’emploi de travailleurs clandestins, la défiscalisation des profits (honnêtes ou pas), la gestion de pavillons de complaisance, de casinos, ou toute autre activité dont la légalité dépend surtout de l’endroit où on la pratique.
Les guerres, civiles ou entre états, ont toujours été propices à ce genre d’activités, permettant de faire fortune rapidement du moment qu’on n’a pas trop de scrupules.
Techniquement, il ne s’agit que d’import-export, achetant ici des stocks de matériels présents en trop grand nombre, pour les revendre là où les besoins des consommateurs solvables ne sont pas suffisamment satisfaits.
La doctrine libérale pure et dure défendue par les conservateurs américains, appliquée à un produit de grande série (la kalachnikov), géré comme des canettes de cola ou des rasoirs jetables.
Comme le dit notre 'héros' dans son argumentaire marketing : 'une personne sur 12 est armée sur cette planète, la seule question est de savoir comment armer les 11 autres'.
Yuri Orlov ne diffère pas des membres de la NRA ('National Riffle Association', présidée par Charlton Heston [1]), pour qui la possession d’une arme de guerre est un droit constitutionnel.
Rappelons également que :
- les 5 plus grands fabricants d’armes (USA, France, GB, Chine, Russie) sont membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU.
- la famille Bush tire une grande partie de sa fortune du commerce des armes et du pétrole [2].
- en France, les principaux producteurs d’armes du secteur privé (Lagardère, Dassault) font partie du gotha politique et sont propriétaires de grands empires médiatiques.
Rien d’étonnant donc à ce que la trafic d’armes continue à proliférer, et que la morale s’efface toujours devant des profits aussi juteux, avec des excuses comme 'ça n’est pas notre guerre', ou 'il faut sauvegarder l’emploi dans nos industries d’armement' (théoriquement censées garantir notre indépendance nationale).
Yuri Orlov, tout comme Tony Montana (Al Pacino) dans "Scarface", ne fait que prétendre à sa part du grand rêve américain, où tout héros positif est jugé sur sa capacité à entreprendre, et où sa respectabilité se mesure à l’importance de son compte en banque.
"Lord of War", en présentant l’irrésistible ascension d’un petit trafiquant amené à fréquenter les plus grands, est donc un film réaliste, touchant, certainement cynique dans son propos, mais assez révélateur d’une idéologie où les règles du commerce priment toujours sur les aspects moraux de la société [3][4].
La même démonstration pourrait être faite sur le saccage écologique de la planète [5], ou les délocalisations à outrance vers des pays ne respectant pas les Droits de l’Homme [6].
En bref : un très bon film, salutaire, servi par de très bons acteurs, mais qu’il ne faut pas aller voir le jour où on a un gros coup de blues.
Note: 9/10
> Fiche Cinéfil
A voir également sur le sujet :
[1] "Bowling for Columbine" de Michael Moore (le problème des armes aux Etats-Unis)
[2] "Le Monde selon Bush" de William Karel (la famille Bush et le 11 septembre 2001)
[3] "The Constant Gardener" de Fernando Meirelles (les agissements des sociétés pharmaceutiques)
[4] "Révélations" de Michael Mann (les agissements des fabricants de cigarettes)
[5] "The Corporation" de Jennifer Abbott (documentaire sur la responsabilité des entreprises en tant que personnes morales)
[6] "The Big One" de Michael Moore (les délocalisations des entreprises et la course au profit)
20:00 Publié dans Ecrans Larges, Ethiques & Politiques, Le Village Global | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cinéma, Amériques, Afrique | Imprimer
08/12/2005
Saw
Not to be Seen
Quel est la différence entre un bon et mauvais film, notamment quand il y a une grosse surprise à la fin ?
C'est que le bon ("Se7en", "6ième Sens", "Les Autres", "L'Armée des 12 Singes", ...), on le voit et revoit même quand on connaît la chute.
Ca n'est pas le cas de "Saw", qui surfe sur la mode de films comme "Se7en", "Cube", "Le Projet Blair Witch", ...
Pour avoir une idée de TOUS les défauts de ce (mauvais) film, le mieux est d'aller voir sur cet avis publié dans DvdRama (je ne pourrais pas dire mieux que cette critique, que je partage entièrement).
Mieux vaut oublier ce film et son DVD, et (re)voir plutôt "Se7en". Les originaux sont toujours meilleurs que les copies.
Note: 2/10
> Fiche Cinéfil
Compléments:
> Sur le blog de "LaBulleDuSiècle".
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08/11/2005
Extension du Domaine de la Lutte
Socio-Economie de la Relation Humaine
Comme l’a très bien montré Michel Houellebecq dans ses romans, le monde occidental a radicalement changé d’orientation au niveau des rapports humains.
On était, jusqu’au milieu du 20-ième siècle, dans un système relationnel relativement artisanal, patriarcal, dont le but était de créer une famille dans l’intérêt du clan. On prenait son temps (engagement, fiançailles puis mariage).
Pour ceux qui étaient exclus ou insatisfaits du système, le substitut en était la prostitution (bordels institutionnalisés) ou l’adultère (séparation des fonctions entre l’être aimé et le conjoint) [1].
Ce système était en phase avec une économie dirigée, paternaliste, colonialiste, où l’emploi était souvent à vie dans la même région et la même entreprise.
On est passé depuis à une économie de marché basée sur la consommation de masse, le libre-échange, l’ouverture des frontières, la loi de l’offre et de la demande, une précarité plus grande de l’emploi.
Dans le domaine relationnel, la liberté prévaut (ce ne sont plus les parents qui choisissent le conjoint) et la norme est désormais de vivre avec l’être aimé.
La libération sexuelle des années 1960-70 est passée par là, et l'échangisme a remplacé la prostitution. En France, les maisons closes sont d'ailleurs devenues illégales en 1946 (Loi Marthe Richard) et la prostitution est régulièrement combattue, même si elle ne peut évidemment être éradiquée.
Les effets secondaires sont néanmoins les mêmes dans les 2 cas.
L’augmentation du volume permet une augmentation du profit global, mais le profit individuel est souvent plus réduit (diminution des marges).
La rapidité des échanges implique qu’on se trompe plus souvent (pas le temps d’être sûr avant de s’engager).
Afin de permettre la fluidité du système, le turn-over et la mobilité doivent être importants (c’est le seul moyen d’adapter l’offre et la demande). On remplace une gestion de stocks par une gestion à flux tendus.
Il y a baisse globale de la qualité (on ne construit plus pour durer éternellement) et accroissement de l’obsolescence des produits (divorces et déchets ménagers ou industriels sont très importants).
Pour ceux qui sont exclus ou insatisfaits du système, le substitut en est la pornographie (films X, Internet, …). La notion d’adultère devient vide de sens, car le mariage a tendance à disparaître et les divorces sont en augmentation constante, les couples se faisant et défaisant très vite.
Avec Internet, on arrive au stade ultime où l’espace s’est étendu à toute la planète, alors que le temps d’une relation peut se contracter jusqu’au minimum possible.
Concernant la situation de la femme, on est passé d’un statut de soumission (au père, au mari) à une réelle liberté théorique.
Cette évolution se rapproche de l’émancipation des 'nègres', après les lois anti-esclavagistes de la fin du 19-ième siècle.
Le problème est que la Liberté n’est pas une notion innée. Elle demande un apprentissage et se construit pendant l’enfance, en reproduisant les modèles sociaux en vigueur.
Dans beaucoup de cas, à cause d’une éducation inadaptée, les sujets se retrouvent incapables à vivre de façon réellement libre et indépendante.
C’est le 'syndrome de l’Oncle Tom', beaucoup de Noirs ayant continué à travailler comme domestiques ou journaliers pour leurs ‘maîtres’, faute de pouvoir concevoir un autre destin. De nos jours, il existe également de nombreuses femmes islamistes défendant leur soumission à leur seigneur et maître.
Sur le Net, je suis assez effaré de voir le nombre important de femmes qui recherchent encore un 'Prince Charmant, grand, protecteur' ou un 'Suggar Daddy généreux', préférant la sécurité de leurs chaînes à l’exercice d’un droit fondamental si chèrement acquis. N’est-ce qu’une mauvaise résolution du complexe d’Œdipe ? ou une vénalité bien comprise ?
Psychologiquement, les dégâts sont importants.
Les personnages houellebecquiens, issus des classes moyennes cultivées, sont écrasés par le quotidien, et sombrent dans la dépression et le suicide, quand ils ont eu la chance d'échapper à la maladie. Plus lucides que la moyenne, ils n'ont pas les moyens d'être dans le haut du panier, ni la ressource de se décerveler devant la télé ou dans les stades.
Le film de Philippe Harel est particulièrement fidèle à l'univers de l'auteur, et est à recommander à tout ceux qui ne supportent pas l'écrivain. Cela leur permettra de ne pas rater une des meilleures analyses de la société moderne jamais écrite ces dernières années, et les incitera peut-être à aller vers les bouquins [2][3][4].
C'est tout le bien qu'on peut leur souhaiter.
Note: 9/10
> Fiche Cinéfil
A (re)lire :
[1] ‘Histoire des Passions Françaises’ par Théodore Zeldin, historien britannique spécialiste de la vie sociale et sentimentale des français à la fin du 19-ième siècle (en 5 volumes).
[2] ‘Extension du Domaine de la Lutte’
[3] ‘Les particules élementaires’
[4] ‘Plateforme’
20:00 Publié dans Bouquins, Cinémathèque, Des Clefs pour Comprendre, Karmas | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cinéma, Culture, Sociologie | Imprimer
12/10/2005
Le Cauchemar de Darwin
NéoColonialisme et Mondialisation
Une bonne illustration du néo-colonialisme à l'oeuvre en Afrique.
Où comment les capitaux européens alliés à la main d'oeuvre ex-soviétique, continuent à piller et à paupériser un pays théoriquement indépendant, sur fond de catastrophe écologique globale.
A voir absolument avant d'aller manger des filets de Perche du Nil, même si le style 'naïf' utilisé ne peut évidemment être considéré comme une démonstration rigoureuse.
Mais, attention à ne pas confondre 'mondialisation' et 'néo-colonialisme', comme je l'ai vu dans certains commentaires ...
Le néo-colonialisme c'est l'exploitation des ressources d'un pays dans le seul intérêt d'une puissance coloniale.
Ce qui se passe actuellement en Tanzanie est clairement ce qui c'est passé, par exemple, en Chine au 19ième siècle quand les anglais vendaient aux chinois, sous la contrainte, de l'opium pour payer leurs achats de thé, et intervenaient avec des troupes recrutées en Inde (Sikhs, Gurkhas népalais).
Ici, on achète des filets de perche du nil pour vendre des armes destinée aux conflits tribaux de la région des grands lacs.
Dans les 2 cas, les dommages collatéraux sont évidemment énormes :
- paupérisation de la population due à la mono activité (les prix étant fixés par l'acheteur).
- désastre écologique (exploitation à outrance des ressources locales).
- sous-alimentation (les cultures ou élevages traditionnels étant abandonnés).
- augmentation de la consommation de drogue et de la prostitution (l'espoir d'une vie meilleure).
- assistanat généralisé via les ONGs ou les structures internationales (Europe, FMI, Banque Mondiale, etc).
Rien de très nouveau sous le soleil, même si le processus est rationalisé.
La 'mondialisation' au contraire consiste à faire circuler librement les capitaux, les biens, les services, la main-d’œuvre et la technologie de façon à maximiser les profits.
L'occident possédant les capitaux, et le tiers-monde possédant la main d'oeuvre la moins chère, les transferts se font en général dans le sens d'une délocalisation des industries de l'occident vers le tiers-monde.
Les profits sont ensuite rapatriés vers l'occident via des paradis fiscaux par des sociétés souvent multinationales, donc à l'abri des lois nationales.
Dans ce cas, ce sont les travailleurs occidentaux qui sont les principales victimes et pas les habitants du tiers-monde qui y gagnent un travail, des revenus, etc. et où le niveau de vie s'élève considérablement comme dans la Chine moderne ou l'Europe orientale.
Les populations africaines en sont encore loin ...
Note: 7/10
Compléments sur "Le Cauchemar de Darwin":
Article Afrik.com
Article Wikipedia
Dossier Académie Aix-Marseille
A voir sur les effets de la mondialisation:
"Roger et moi" de Michael Moore (la délocalisation des usines automobiles américaines de Détroit vers le Mexique)
"The Big One" de Michael Moore (le cas 'Nike' dont les usines sont implantées en asie du sud-est)
"Mémoire d'un saccage" de Fernando Solanas (la descente aux enfer de l'Argentine, 'grâce' au FMI)
20:00 Publié dans Cinémathèque, Ecologie, Ethiques & Politiques, Le Village Global | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cinéma, Ecologie | Imprimer
28/09/2005
Les Ames Grises
Fondu Enchaîné vers un monde de Grisaille
Un film superbe, intelligent, roublard, sans ‘héros’ bien défini et dont le point de vue du spectateur change au cours de la progression du récit, servi par des acteurs toujours excellents: Jean-Pierre Marielle, Jacques Villeret (un de ses derniers rôles), Denis Podalydès, Michel Vuillermoz, Serge Riaboukine, ...
Au début, les choses sont claires, les rôles bien tranchés.
Dans un village près de la ligne de front, riches bourgeois et pauvres ouvriers se côtoient sans se mélanger, tandis que des soldats malgré eux sont envoyés à l’abattoir pour nourrir l’offensive en cours.
Selon sa sensibilité politique, on s’attachera plutôt aux prolétaires exploités par les notables, ou à ces esprits éclairés et cultivés tentant de gérer au mieux leurs troupeaux abrutis par le travail et l’alcool.
Le maire, l’institutrice, le procureur, le juge d’instruction, le flic, le curé, la bonne, l’aubergiste, les permissionnaires permettent de tracer rapidement les caractéristiques de cette société d’avant guerre (la première), aujourd’hui désuète, où tout le monde semble ‘à sa place’, y compris un assassin promptement ‘raccourci’ pour avoir eu un coup de sang, proprement inadmissible dans un monde si ‘bien comme il faut’.
Seule tâche dans l’ensemble, le juge d’instruction ostracisé pour avoir côtoyé des nègres, lors de son précédent poste en Afrique.
Mais la vie ne peut se décrire en n’utilisant que le noir et le blanc.
La guerre est là qui s’introduit partout, brasse les populations, remet en cause les habitudes bien établies, révèle les caractères et noie les âmes dans une brume grise.
L’Enfer n’est-il pas dans ce mélange des couleurs, où la pureté des extrêmes se corrompt en heurtant ‘le bon goût’ ?
Est-on bien sûr que ce juge si zélé est bien le défenseur intègre de la veuve et de l’orphelin ?
Et ce procureur, que la rigidité morale, le veuvage et la haine du ‘vulgaire’ isole dans son château, est-il le pervers qu’il semble être quand il s’attarde avec une jeune femme, ou caresse la joue d’un enfant ?
L’aubergiste si sympathique et si dur au travail ne profite-t-il pas du charme de sa fille pour attirer sa clientèle ?
Les déserteurs ne sont ils que des pauvres hères dépassés par les événements et victimes d’officiers sadiques ?
Seul les anti-héros (l’institutrice, le flic, sa femme enceinte), âmes innocentes qui ne font que subir les aléas de l’existence, semblent posséder effectivement les qualités morales d’une vraie humanité.
Mais est-ce suffisant pour affronter les duretés de la vie ?
Où est-il préférable d'abandonner le combat ?
Note: 9/10
> Fiche Cinéfil
20:00 Publié dans Ecrans Larges, Karmas | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cinéma | Imprimer