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23/05/2009

Bonté Divine!, de Louis-Michel Colla et Frédéric Lenoir

Bonté DivineNourritures Spirituelles et Crise de Foi.

 

Un curé, un rabbin, un imam et un moine bouddhiste sont dans un bateau. Dieu tombe à l’eau. Qu’est ce qui reste ? Tel est en gros le thème de cette pièce, mélange de comédie et de réflexion philosophique, écrite par Louis-Michel Colla et Frédéric Lenoir, et menée de main de maître par Roland Giraud.

 

En posant les questions qui fâchent, la première partie permet de resituer le débat et d’évacuer les controverses sur lesquels se focalisent malheureusement les intégristes et les médias. Très consensuelle, chacun peut se voir conforter dans ses opinions sans se sentir obligé de critiquer celles de son voisin.

 

Heureusement, la deuxième partie vient mettre un peu de piquant dans l’ensemble. En multipliant les petites vacheries, les aphorismes, les histoires ‘drôles’, chacun souligne en se moquant des particularismes idiots de chacun de ses confrères ou de ses propres coreligionnaires (protestants, autres traditions bouddhistes, …). Néanmoins, la critique est équilibrée, soulignant surtout la prétention à l’universalité, la place inférieure des femmes, le dogmatisme des règles. Malgré tout, la cohérence globale des 3 religions du Livre n’en est que plus évidente, malgré leurs petites différences dues aux causes politiques ou aux vicissitudes de l’Histoire. Il est par contre dommage que le rôle du moine Theravada soit plus fade que celui des 3 autres. Malgré quelques aphorismes bien envoyés [*], il est trop souvent passif face aux autres, l’essentiel de la doctrine, à l’exception des "4 Nobles Vérités", étant le plus souvent exprimé par un des autres protagonistes. D’où quelques approximations un peu trop expéditives.

 

La crise existentielle du prêtre permet toutefois de remettre l’Homme à sa place. Quelques soient les règles professées, il y a souvent un abîme entre la théorie et la pratique. Combien de religieux seraient prêts à mettre en jeu leur vie, qu’il prétendent pourtant éternelle, pour prouver la réalité de leurs dires ? Les personnages de la pièce sont surtout formatés par leurs dogmes, plus que par leurs principes moraux. Mesquinerie, calculs, égoïsme, lâcheté, sont plus sûrement répandus que l’altruisme, la générosité et la compassion. Heureusement le twist final permet à chacun de retrouver le droit chemin.

 

L’épilogue est finalement très sympathique : l’amour et l’amitié valent mieux que les différents idéologiques et les querelles religieuses. Une profession de foi œcuménique, apparemment partagée par le public, qu’on aimerait plus souvent retrouver en dehors des salles de spectacles.

 

[*] Notamment le très beau : « Le plaisir est le bonheur des fous, le bonheur est le plaisir des Sages » dont l'auteur est en fait Barbey d'Aurevilly (tout vrai bouddhiste sait que le 'bonheur' est une notion aussi égoïste, fugace et illusoire que le 'plaisir').

 

Note: 7/10

 

Compléments :
> Le spectacle sur les sites du Théâtre de la Gaité-Montparnasse et de Frédéric Lenoir.
> Les analyses et critiques de Les3Coups, CritikArtPremièreLeParisien, LaCroixLaVoixDu14ième, Critikator, BlissInTheCity, Antipode.

18/04/2008

Shakti Devi

ShaktiNaissance de 2 nouvelles Déesses.

L'Inde est un pays où les dieux sont toujours vivants, au moins dans l'esprit de la population.
Mais pas seulement, puisque coup sur coup viennent de se produire 2 naissances qui rappellent les personnages des mythes fondateurs.
Celà pose évidemment le problème des conditions sanitaires dans laquelle vit la population indienne (pollution chimique, radioactivité, ...).
Mais dans quel autre pays, une enfant serait-elle aussi bien acceptée et considérée comme une divinité ?

> Lakshmi, née fusionnée avec les restes de sa jumelle (Cf. LePost):



> Lali, née avec 2 visages (Cf. LePost):



Compléments :
> les Devis sur IndianRed et Ganapati.

02/03/2008

Inde des Dieux et des Hommes, de Dominique Rabotteau et Frédéric Soltan

Inde des Dieux et des Hommes6 Pas dans l'Eternité.

En prélude à mon prochain voyage en Inde, un petit coup de projecteur sur une des meilleures séries documentaire jamais sortie sur cette nation.
Consacrée à 6 des plus importants groupes religieux du pays, elle s’attache à en faire connaître les us et coutumes, leurs buts et leurs modes de vie. Chacun des reportages prend place à l’occasion d’une des grandes fêtes de la communauté (certaines n’ont lieu que tous les 12 ans), et se focalise sur quelques personnages représentatifs en les filmant au plus près, sans voyeurisme mais sans complaisance.
Si les commentaires sont peu nombreux, et restent parfois un peu trop descriptifs, ils n’oublient pas de signaler certains faits dérangeants sur l’influence politique de tel ou tel groupe, leurs abus du haschisch, ou les aspects socio-économiques tels que la condition des femmes ou le rapport à l’Argent.

On peux ainsi mieux faire connaissance avec les sâdhus à l’occasion de la "Kumbhamelâ" de Haridwar (sources du Gange), avec les sculpteurs de Calcutta à l’occasion de la fête de Durga, avec les 'acteurs' de Teyyam du Kerala, avec les milices religieuses des Sikhs du Penjab, avec les confréries fakirs (soufis) de Rajasthan à l’occasion de la fête de l’Urs à Ajmer, avec les nonnes jaïns de Shravanabelagola au moment de la Grande Onction.
On regrettera seulement qu’il n’ait pas quelques reportages supplémentaires sur des groupes moins importants numériquement (bouddhistes du Ladakh, chrétiens tamouls ou Bâuls du Bengale par exemple).

En à peu près 6 heures, on apprend énormément de choses, qu’on soit un parfait néophyte en la matière, ou qu’on soit déjà familier avec la mosaïque indienne.
Des témoignages inoubliables et une réussite exemplaire.

Note: 9/10

> Biographie et Interview des auteurs.
> Le site de SanghaProductions.
> Les critiques de DvdCritiques.

Extraits:



23/08/2007

La Possibilité d'une Ile, de Michel Houellebecq

Karma-Sutra

En plus de s’intéresser aux aspects socio-économiques de la relation humaine ("Extension du Domaine de la Lutte", "Plateforme"), Houellebecq développe aussi souvent des notions plus métaphysiques liées au sens de la Vie. "Les Particules Élémentaires" posait la question de la cause de la Souffrance, et de la Voie à suivre pour y remédier. "La Possibilité d’une Île" en est la suite logique, envisageant les conséquences des travaux de Michel Djerzinski.

Matériellement, le roman prend la forme des romans d’anticipation de tradition française ("L'Éternel Adam" de Jules Verne, "Le Grand Secret" de René Barjavel ou "L’Ève Future" de Villiers de L'isle-Adam) en lorgnant un peu sur les équivalents américains ("Je Suis une Légende" de Richard Matheson, par exemple).
Le récit se développe sur plusieurs siècles, tenant pour acquis un désastre écologique majeur, allié à des guerres entres nations riches et pauvres pour s’assurer les dernières ressources naturelles disponibles. L’Humanité finit par se scinder en 2 groupes, les riches se reproduisant en vase clos, grâce au meilleur de la technologie, les pauvres finissant par régresser vers un stade de sauvagerie animale.

Son prétexte scientifique repose sur le clonage, prôné par une secte promettant l’immortalité individuelle. On fait vite le rapprochement avec les raéliens, que l’auteur a fréquenté quelques temps. La description féroce des motifs et des agissements du gourou, montre bien que Houellebecq est bien trop malin pour se faire avoir par ce genre de manipulations, et que le procès d’intention qui lui a été fait par certains n’était pas du tout fondé. Il a dû certainement prendre un grand plaisir à aller observer de l’intérieur le fonctionnement de ce genre de machine à décerveler. Il ironise d’ailleurs encore beaucoup sur les écrivaillons du milieu culturel franco-parisien, réalisateurs de produits marketing plus destinés à flatter les bas instincts du public pour se remplir les poches, qu’à délivrer des œuvres destinées à rester dans la postérité.
Si ses thèmes de base restent les mêmes (humanité conduite par le sexe, fuite vers le néant, pessimisme généralisé quand à la nature humaine), le style est un peu plus léger que dans ses ouvrages précédents. Le personnage principal étant un comique de bas niveau (style Arthur ou Bigard), les considérations philosophiques volent un peu moins haut. Les descriptions, quoique crues, de la vie quotidienne sont moins longues, moins obsessionnelles et moins sulfureuses que d’habitude. Les lecteurs énervés par le ‘style Houellebecq’ devraient donc le supporter plus facilement.

Sur le fond, 2 niveaux de lecture se détachent.
Le premier brasse les thèmes de la place de la vieillesse et de la jeunesse dans notre société, de la compétition naturelle entre vieux/riches et jeunes/pauvres, de la prépondérance absolue du paraître qui gangrène la société moderne en imposant le mythe d’une nécessaire jeunesse éternelle.

Le second reprend une thématique bouddhiste déjà esquissée dans "Les Particules Élémentaires". La partie contemporaine insiste sur le désir, et son insatisfaction chronique, comme cause essentielle de la souffrance existentielle de notre vie moderne. La maladie, la vieillesse et la mort sont systématiquement cachées, dans une tentative illusoire de vouloir se créer un Paradis artificiel. La partie future décrit un monde qui a cru supprimer la douleur de vivre en supprimant les émotions. La succession des clones est une forme de réincarnation, dont les corps sont à la fois identiques (même patrimoine génétique) et différents (pas de transmission des souvenirs). La continuité de l’Identité d’un individu doit donc se faire par l’enseignement (via l’étude et le commentaire des journaux intimes des générations précédentes). Dans la secte Elohimiste, les ‘Néo-humains’ correspondent donc à des Bodhisattvas artificiels, non soumis aux désirs (du sexe, de la nourriture, …), et les ‘Futurs’ à des Bouddhas pleinement réalisés, n’ayant plus besoin de se réincarner. Cette solution technologique ne peut pourtant que conduire à une impasse. La Cessation de la Souffrance a en effet été obtenu par des manipulations génétiques, sans tenter de résoudre le problème au niveau psychologique. Les clones obtenus deviennent alors une autre espèce animale, incapable de comprendre leurs prédécesseurs, ou même d’avoir quelque relation que ce soit avec leurs semblables. Devenir un Bodhisattva ne consiste pas à couper tous les ponts avec le Monde qui nous entoure, dans une démarche autistique, mais au contraire à augmenter son niveau de conscience pour interagir avec l’ensemble de l’Univers et ne faire plus qu’Un avec lui.

"La Possibilité d’une Île" est le récit d’une recherche d’un Paradis illusoire, par des méthodes insensées et périlleuses pour l’espèce humaine. Espérons que le clonage humain restera du domaine de la fiction, et que des fous dangereux n’auront pas un jour les moyens d’effectuer ce genre de réalisations.

Note: 8/10

Compléments :
> Le site officiel consacré à Michel Houellebecq.
> Les critiques de Lire, CritiquesLibres, KrinEin, eLittérature, LeMague, MoutonRebelle, DiscussingBooks, Valclair.
> Un très bon film qui traite d’une problématique identique : Samsara de Nalin Pan, portrait d’un jeune moine bouddhiste écartelé entre ses aspirations spirituelles et ses contraintes d’être humain.

01/08/2006

Le Cycle des Dames du Lac

De la Déesse-Mère à la Vierge Marie.

La légende arthurienne a fait l’objet de nombreuses adaptations ces 10 derniers siècles. Depuis les romans de Chrétien de Troyes jusqu’aux films de chevalerie hollywoodiens [1], en passant par de nombreuses BD, le trame du récit a toujours été vers une apologie du christianisme triomphant sans contestation possible des anciennes religions celtiques, pratiquées uniquement par des barbares. Pour assurer cet objectif, les différents auteurs n’ont jamais hésité à enjoliver la réalité, quitte à modifier des éléments substantiels de l’histoire. Le principal a été de faire se passer les faits en plein Moyen Age, avec des chevaliers en armure, alors que l’origine de la légende se situe au moment de l’écroulement de l’Empire Romain d'Occident (5-ième siècle), quand les populations britanniques durent s’unir pour résister aux invasions saxonnes, les légions romaines étant devenues incapables d’assurer leur protection. La religion dominante était alors le druidisme, et le christianisme n’était présent que par l’intermédiaire de quelques missionnaires, couvents et monastères.

L’intérêt du cycle de romans de Marion Zimmer Bradley est d’une part de replacer l’histoire dans son époque, d’autre part de la relater en prenant le point de vue des femmes, bien trop souvent réduites au rang de potiches dans les sagas héroïques. La principale narratrice est d’ailleurs Morgane, sœur d’Arthur et dernière grande prêtresse d’Avalon [2], dont le destin est à la croisée de tous les chemins.
Extrêmement bien documenté, son récit est sans doute le meilleur jamais écrit sur le sujet, naviguant sans cesse entre les aspects politiques (les intrigues de cour et la naissance de la nation britannique), privés (le destin personnel des protagonistes) et religieux (la suprématie progressive du christianisme intolérant et sectaire sur les cultes liés à la Nature). L’ensemble du cycle est l’occasion de rappeler que le christianisme, pour s’imposer, dût récupérer et intégrer un grand nombre de croyances et de pratiques locales, bien que combattues officiellement. Le troisième tome est d’ailleurs une fantastique plongée dans la genèse de la légende depuis la difficile occupation de l’île par les romains et les derniers jours de Joseph d‘Arimathie (celui qui apporta le Graal en Angleterre), jusqu’à l’avènement de Viviane et de Merlin. Le folklore celtique est également très présent, notamment dans ses aspects ésotériques et chamaniques [3]. La Grande Déesse n’a finalement pas complètement disparue, puisque dans les cultes rendus à la Vierge Marie et à certaines saintes, on retrouve celui que les hommes ont toujours rendu à la "Déesse Mère", depuis ses origines préhistoriques, en passant par Isis, Ishtar, Aphrodite ou Guanyin/Kannon.

Note: 10/10

[1] La meilleure étant celle de John Boorman "Excalibur" (1981).
[2] Sans doute situé sur le site actuel de Glastonbury (mais les marais ont été asséchés depuis longtemps). Une bonne présentation du site ici.
[3] Pour en avoir un aperçu, il existe un très bon documentaire sur les croyances actuelles de ce genre en Islande: "Enquête sur le Monde Invisible".

Compléments :
> Les chroniques de CritiquesLibres sur "Les Dames du Lac" et "Les Brumes d'Avalon".
> Les sites de la légende, présenté par l’Office du Tourisme de Grande-Bretagne.
> Un bon site de référence pour s'y retrouver dans tous les noms et sites.
> Une belle iconographie sur "TerraNova".

> A voir : l’excellente adaptation télévisée de Uli Edel (2001) "Les Brumes d’Avalon", disponible en DVD.
> Ainsi que les versions modernes du mythe arthurien :
. celle de JRR Tolkien ("Le Seigneur des Anneaux"), où la quête du Graal est remplacée par celle de l’Anneau, et où la vision est celle du 'Petit Peuple', mais tend vers la même fin : le repli des non-humains vers Avalon, et l’occupation exclusive de l’espace terrestre par les humains.
. celle de Mamoru Oshii ("Avalon"), adaptée à l’univers du jeu vidéo, analogue aux univers féériques des temps anciens.