07/01/2007
10 Canoës, 150 Lances et 3 Epouses (Ten Canoes)
Éloge de l’Équilibre dans un Monde Incertain.
Comme beaucoup de peuples 'premiers', les aborigènes ont une culture complètement orale, et condamnée à disparaître en même temps que les anciens qui la conservent et la transmettent aux générations suivantes. Peu d’entre eux ont eu l’occasion de mettre en œuvre des moyens modernes compatibles avec leurs traditions. Ça a été le cas des Inuits, il y a quelques années, avec "Atanarjuat" (2002), et des Nenets avec "Sept Chants de la Toundra" (2000). On peut également citer certains films d’ethnologues comme Jean Malaurie ("Les derniers Rois de Thulé", 1970) ou Robert Flaherty ("Nanouk l’Esquimau", 1922). A l’inverse, peu de peuples indiens ont eu l’occasion de montrer la réalité de leur culture, sans le prisme déformant d’équipes de réalisations occidentales à but commercial. Le film de Rolf De Heer est donc un évènement particulièrement bienvenu.
L’histoire commence comme celle de "Shrek" ('Il était une fois un marais perdu très très loin d’ici, …'). Mais ici pas de conte de fées. Les aborigènes du nord de l’Australie sont établis dans ces terres depuis des milliers d’années, et vivent en symbiose totale avec ce milieu difficile. Leurs mythes fondateurs y sont enracinés et ne remontent pas aux périodes antérieures à la colonisation de l’île. Le prologue est très instructif pour présenter à l’occidental moyen les bases de leur culture. Basée sur l’autarcie et une économie de subsistance, tout est fait pour ne pas troubler l’ordre et l’harmonie de la Nature.
Le conte est un moyen d’éduquer les jeunes, de valoriser le modèle social, de résoudre les tensions entre membres du groupe. Organisé en clans ne parlant parfois pas la même langue à quelques kilomètres de distance, les aborigènes ont pour principal souci la survivance de l’espèce, le groupe étant prioritaire sur tout individu.
Adoptant une forme analogue à celle des "1001 Nuits" (le narrateur raconte une histoire dans laquelle un narrateur raconte une histoire), le scénario remonte le temps pour mettre en exergue les règles indispensables en dehors desquelles la vie en société ne serait plus possible. Polygamie, amours impossibles, sorcellerie, chasse, guerre, rites funéraires sont évoqués sans fard autre que celui des peintures corporelles traditionnelles. Le temps s’écoule lentement, le récit s’interrompant quand il le faut pour s’occuper de choses 'sérieuses' [*]. Et c’est dans la durée que les choses importantes émergent, une fois décantées de la futile agitation du monde.
En bref, un très bon docu-fiction, très respectueux de la culture aborigène, et à voir absolument par tous ceux qui sont sensibles à la magie d’histoires intemporelles.
Note: 9/10
[*] Sur un thème semblable, voir également l’excellent "Voyageur et Magiciens" film bhoutanais dans lequel conte et réalité se mélangent pour mieux démêler indispensable et superficialité.
Compléments :
> La Fiche du film sur Wikipedia.
> Le Site du film.
> Critiques sur "CommeAuCinéma", "LeMonde", "LeFigaro", "Telerama", "Excessif", "Fluctuat", "AVoirALire", "LeRoutard".
> Sur les Blogs: "LesIrréductibles", "CafésGéographiques".
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02/01/2007
Laurent Gerra Flingue la Télé
Pan sur le PAF.
Laurent Gerra aimait bien la télé. Celle de son enfance. Celle de ses débuts comme amuseur public. D’où sa déception quand il regarde ce qu’est devenu son media préféré, et les évolutions de certains de ses anciens collègues.
Plutôt qu’un imitateur, genre qui tombe en désuétude, c’est avant tout un humoriste et un caricaturiste. Qu’importe si ses imitations n’ont pas toujours la bonne intonation, c’est d’abord ses textes et ses attitudes qui le rendent intéressant. On retrouve dans l’écriture de ses sketches les mêmes qualités qui l’ont fait devenir le scénariste des derniers "Lucky Luke". Sans s’élever au chef d’œuvre, son travail ne dépare pas celui des regrettés Morris et Goscinny.
A l’évocation nostalgique des émissions d’il y a vingt ans, revisitées de façon plus que facétieuse, succède un mitraillage en règle de la télé poubelle de ces dernières années.
Abandonnant la langue de bois en usage dans le milieu, il pointe de façon féroce et corrosive les dérives de la course à l’audience, le nivellement par le bas, le passage de la culture au cul, du service public aux sévices en public.
Toute la faune interlope des plateaux de télé en prend pour son grade. Pseudo-vedettes à la gloire bien passée, chanteurs ringards élevé en batterie, rappeurs bas du front, ‘experts’ racoleurs, animateurs vulgaires et ripoux côtoient les hommes politiques habitués du fenestron. Certes, il n’est visiblement pas socialiste, mais il tape aussi bien à gauche qu’à droite avec le même plaisir jubilatoire (Jack Lang, Delanoë, Chirac, Le Pen, ...). D’autres sketches évoquent néanmoins avec tendresse et sympathie quelques grandes figures du music-hall et du petit écran.
Enregistré au Palais des Sports de Paris en février 2006, le DVD ne prend pas en compte les derniers rebondissements du PAF. Mais le recul d’un an n’en rend que plus drôle les promesses électorales jamais tenues, et le jeu de chaises musicales des animateurs sur les chaînes. De facture assez classique, le spectacle rappelle le travail qu’effectuait Thierry Le Luron à son époque. Très politiquement incorrect, il a la force des sketches les plus corrosifs de Florence Foresti (Ségolène Royal ou Cécilia Sarkozy).
Bref une salutaire thérapie par le rire, que n’aimeront pas les accros de la télé commerciale française d’aujourd’hui. Mais, outre ceux qui ont jeté leur poste, ce spectacle devrait faire le bonheur des francophones étrangers toujours prêts à remettre dans son tas de fumier un coq gaulois trop imbu de lui-même.
Note: 9/10
Compléments :
> Sa bio sur Evene.
> Un point de vue belge sur "DhNet".
> Quelques critiques sur "CommeAuCinéma", "DvdRama", "KrinEin", "DvdAlliance", "InfosJeunes".
> Les Videos disponibles sur YouTube.
Illustration :
> La télé selon Jean-Luc Delarue.
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30/12/2006
Babel
Des Maux pour le Dire.
"Babel", tour mythique, symbole de la division de l’humanité, trop nombriliste et trop orgueilleuse pour s’entendre et se parler. Comme la plupart des mythes judéo-chrétiens (jardin d’Eden, Déluge, Anges, …) son origine remonte aux premières civilisations mésopotamiennes (probablement la ziggourat de "Borsippa"). Un tel thème a déjà été abondamment utilisé dans des œuvres de fiction. Citons par exemple "Babel 17", excellent roman de Samuel Delany qui explore les relations entre langages et modes de pensée, ou les séries japonaises "Babel II" et "Nadia, Le secret de l'Eau Bleue", sans oublier l’île de Laputa de Jonathan Swift et tous ses dérivés ("Le Château dans le Ciel" de Miyazaki, …). Dans le cadre de leurs films choraux, Alejandro Gonzalez Innaritu et Guillermo Arriaga pouvaient-ils dire quelque chose de neuf sur le sujet ?
L’habileté de ce film est de mélanger les différentes formes de communication dans différents milieux pour en illustrer les importantes similitudes au-delà des nombreuses différences.
On y trouve les bruits des grandes villes et des médias modernes, le silence du désert et des zones montagnes reculées, les rapports humains dans toute leur diversité (employeurs / employés, couples, familles, amis, groupes de voyageurs, procédures bureaucratiques, …). Les foules propices à l’anonymat et aux excès succèdent aux scènes intimistes. Les messages se transmettent, se déforment, se diluent, s’appauvrissent, atteignent rarement leur cible, ont des effets induits souvent malheureux et hors de proportion illustrant parfaitement les lois de causalité à l’origine de ce qu’on appelle le Karma.
De ce point de vue le film est une réussite. C’est malheureusement au prix d’une certaine superficialité, personnages et dialogues étant peu développés, à la limite de la caricature. On a aussi du mal à comprendre la raison de certaines situations aussi surprenantes qu’inutiles pour le propos (nounou mexicaine passant la frontière sans papiers, enfants marocains libidineux, …). L’ensemble reste malgré tout cohérent, et est très bien joué, avec une mention particulière pour Brad Pitt peu habitué à ce genre de rôle tout en finesse.
Paradoxalement, la partie la plus réussie est celle qui se passe à Tokyo, et que beaucoup de critiques semblent trouver ‘hors sujet’. Pourtant, quoi de plus ‘parlant’ pour illustrer la difficulté de communication entre humains que le cas de jeunes sourds muets, exclus du système pour ne pas posséder les codes nécessaires aux échanges les plus élémentaires. Ce thème aurait pu être l’objet d’un film à lui tout seul (mais il n’aurait sans doute pas fait beaucoup d’entrées). Les scènes dans la boite de nuit où alternent ressentis des sourds et des bien entendants illustrent particulièrement bien le décalage entre les interprétations d’un même message. On pourra utilement les rapprocher des informations télévisées japonaises sur le prétendu attentat, que tout le monde voit, mais que personne n’écoute. Formatées pour un public international à partir des préjugés en cours, elle ne font que participer au bruit de fond ambiant sans informer qui que ce soit. L’impression qui domine est la solitude de l’individu dans l’immensité de l’Univers, son incompréhension et ses peurs n’ayant pas évolués depuis les temps lointains où s’est construit le mythe de la Tour. Il n’est dailleurs pas anodin que le film se termine dans une forêt de tours tokyoïte (moderne Babylone), tours dans lesquelles l’homme moderne est beaucoup plus atomisé qu’il ne l’était dans les villages horizontaux primitifs.
En résumé, un bon film qui aurait pu être meilleur en évitant la surenchère de situations gratuites, et en approfondissant la psychologie et les relations des personnages marocains et mexicains. Dans le flot de scénarios insipides produits par Hollywood, c’est en tout cas un film à voir en cette fin d’année.
Note: 7/10
Compléments :
> La Fiche du film sur Wikipedia.
> Le Site du film.
> Critiques sur "CommeAuCinéma", "iMedias", "Telerama", "Excessif", "LeMonde", "LeFigaro", "KrinEin".
> Sur les Blogs: "SebInParis", "Matoo", "Niklas", "Cinesia", "InTheMoodForCinema", "RosesDeDécembre", "Critiques Clunysiennes", "CinéManiac".
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20/12/2006
Déja Vu
Circulez, Y a Rien à Voir.
Alléché par quelques bonnes critiques et une bande annonce pas mal foutue, le cinéphage en quête de bons films (ça devient rare en cette fin d’année) aurait tendance à aller voir le dernier opus de Tony Scott (frère de l’autre). Son dernier film "Domino", innovant dans le fond et dans la forme, laissait également espérer une amélioration de qualité par rapport à une longue liste de blockbusters sans saveur. C’est raté. Il n’y a malheureusement pas grand-chose à voir, excepté une énième version du film de propagande patriotique, où de valeureux superflics sauvent le peuple américain de ses vilains méchants.
Malheureusement, ce n’est ni un film parodique ("Team America") ou fantasmatique ("Superman"), mais est présenté comme un polar crédible, en dépit des nombreuses incohérences du récit que n’a pas vues le scénariste. Aucune réflexion non plus sur les conditions d’utilisation d’un tel pouvoir. Là où "Minority Report", "L'Effet Papillon", "Retour vers le Futur", ou même des nanars comme "Time Cop", pointaient les risques liés à la modification d’évènements du passé, "Déjà Vu" y va franco, comme Bush contre l’Axe du Mal, avec l’assurance d’avoir Dieu à ses côtés. Tous les moyens sont bons pour sauver des vies (surtout celles des militaires américains) quelques en soient les conséquences.
La solution préconisée est donc un flicage total de la population, où toute intimité est bannie. Les citoyens de "Fahrenheit 451", "Brazil" et "1984" étaient encore privilégiés, car ils pouvaient encore bénéficier d’espaces où pouvoir s’isoler. Dans "Déjà Vu", plus personne n’est à l’abri de l’œil des bureaucrates gouvernementaux avec tous les dérapages que cela implique. Il n’est pas anodin qu’ils préfèrent mater une femme prendre sa douche, plutôt que surveiller les suspects potentiels. Qu’importe le respect des libertés civiques, si le peuple n’est qu’un troupeau de moutons à protéger de prédateurs enragés. Les USA sont sans doute la seule nation à être née dans un régime démocratique, et se diriger lentement mais sûrement vers une dictature comme celle dont rêvait Hitler et Staline. De tels films de propagande y préparent en tout cas les esprits...
Note: 5/10
Compléments :
> La Fiche du film sur Wikipedia.
> Le Site du film.
> Critiques sur "CommeAuCinéma", "Telerama", "Excessif", "FilmDeCulte", "Fluctuat", "KrinEin".
> Sur les Blogs: "Niklas".
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13/12/2006
Fast Food Nation
Bienvenue dans une Economie de Merde.
"Super Size Me" se consacrait aux conséquences de la mal bouffe sur la santé des américains. "Fast Food Nation" prolonge l’enquête en remontant la filière jusqu’aux lieux de production.
En utilisant le biais de la fiction, il permet de présenter l’ensemble des éléments du problème, sans bla-bla inutile, le naïf de service étant lui-même un des rouages du système. Il analyse les différents éléments qui font que tout le monde, ou presque, a intérêt à fermer les yeux (et les narines) et perpétuer un mode de production néfaste pour la santé des consommateurs et les conditions de vie des populations concernées.
En quelques plans, tout est dit :
- les conditions d’élevage des bovins, entassés dans des enclos sans le moindre brin d’herbe, et nourris avec des granulés.
- les prix bas imposés par le cartel de la viande, qui ruine les éleveurs et enrichit les banques et les promoteurs immobiliers, via les hypothèques et les rachats de terrains à bas prix.
- le processus de fabrication, complètement industrialisé où le prix et les profits sont plus importants que la qualité du produit.
- le non respect des règles d’hygiène et de sécurité minimales, associé à des cadences infernales.
- les additifs chimiques destinés à redonner au produit un goût de viande acceptable.
- la proximité du Mexique qui fournit une main d’œuvre docile et pas chère, renouvelable à l’infini.
- la consommation de drogue qui permet de tenir malgré des conditions de travail déplorables.
- les accidents de travail qui sanctionnent la moindre erreur due à la fatigue.
- la désillusion des jeunes, dont les révoltes écologico-humanistes se heurtent vite aux nécessités économiques et au 'Patriot Act'.
- les collectivités locales qui croient sauver leurs bassins d’emploi en multipliant usines à bouffe et petits boulots dans les fast-foods.
- l’économie souterraine qui enrichit les profiteurs et trafiquants de tous bords.
- les employés qui n’ont d’autre choix que de se soumettre ou se démettre.
Très bon docu-fiction, ce film est en plus servi par un casting excellent et crédible.
A voir par toute personne un peu concernée par ce qui se passe dans le monde et ce qui se retrouve dans son assiette.
Note: 9/10
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> Critiques sur "CommeAuCinéma", "Libération", "Telerama", "Excessif", "KrinEin", "Critikat".
> Sur les Blogs: "SirenSorrento", "PapillesEtPupilles", "CineFan1987", "MyOwnPrivateBlog".
> "Backwards Hamburger", l'industrie du Fast-Food expliquée en dessin animé:
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