20/03/2007
La Cité Interdite (Curse of the Golden Flower)
"Or et Jade à l'Extérieur, Pourriture et Décadence à l'Intérieur".
Zhang Yimou a été un réalisateur talentueux. "Le Sorgho Rouge", "Judou", "Epouses et Concubines", "Qiu Ju, Une Femme Chinoise", "Vivre", "Pas un de Moins", "Happy Times" ont été une belle suite de petits chefs d’œuvre, admirés à juste titre et souvent récompensés dans les festivals internationaux.
Cela ne devait pas lui suffire, car en plus de l’organisation des spectacles des Jeux Olympiques de Pékin en 2008, vaste opération de propagande pro-communiste, il accumule depuis les films à gros budget formatés pour le plus grand nombre, et invariablement voués à la glorification du pouvoir central.
"Hero" justifiait les massacres opérés par le premier empereur au motif qu’il avait unifié la Chine [1]. "Le Secret des Poignards Volants" montrait l’impossibilité pour 2 individus de s’opposer au système, et la prééminence absolue du chef sur ses subordonnés. "Curse of the Golden Flower" (fastueusement produit par le japonais Sony [2]) continue cette série en consacrant la dictature du chef, seule et unique loi à observer par le commun des mortels. Liens familiaux, rites et lois, respect de la personne humaine et de la parole donnée, ne pèsent rien face à l’arbitraire de celui qui détient le pouvoir absolu, même s'il sacrifie l'avenir à la satisfaction de son Ego.
Dans le contexte chinois moderne, c’est la justification de toutes les purges ayant décimé les opposants au régime, les élites intellectuelles mal-pensantes, les étudiants et paysans rêvant d’un avenir meilleur. Le massacre de la cour du palais renvoie à celui de la place TianAnMen en 1989, tout aussi rapidement nettoyée pour conforter le mythe d’une Chine une et indivisible.
Le film plaira peut-être à de nombreux occidentaux sans références culturelles chinoises, du moins s’ils ne sont pas écoeurés par la profusion de décors et de costumes très kitch, et l’aspect assez creux et répétitif du scénario (je crains quelqu’un, donc je l’élimine).
Seuls points positifs, l’aspect esthétique du film (l’argent investi est bien visible à l’écran) et la qualité des acteurs, qu’on préférait pourtant voir dans des films plus ambitieux.
Tant qu’à voir un film de ce genre, mieux vaut lui préférer "Wu Ji, la Légende des Cavaliers du Vent" (Chen Kaige), descendu par la critique et de nombreux spectateurs, mais qui prenait parti pour les sans-grades opprimés, notamment un esclave orphelin venu du 'Pays des Neiges', référence transparente au Tibet sous la botte chinoise.
[1] Sur le même thème, il vaut mieux voir "L’Empereur et l’Assassin" de Chen Kaige, nettement plus critique sur la vie de Qin Shi Huang.
[2] Dans ces cas là, le Yen n’a pas d’odeur et on oublie facilement les exactions de la 2-ième Guerre Mondiale, pourtant régulièrement remises en avant.
Note: 5/10
Compléments :
> Le site du film.
> Les critiques sur "CommeAuCinema", "LeMonde", "NouvelObs", "Figaroscope", "Telerama", "Excessif", "FilmDeCulte", "Fluctuat", "AVoirALire", "DvdCritiques", "SanchoAsia", "Cinemasie".
> Sur les Blogs: "OrientExtreme", "PibeSan", "ChinaCinema", "Shangols", "SurLaRouteDuCinema", "GrandesPoches", "Racines", "DérapagesSynaptiques", "TourDuMonde 2006 2007".
20:00 Publié dans Ecrans Larges, Ethiques & Politiques, Le Village Global | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cinéma, Chine | Imprimer
18/03/2007
Les Témoins
Ils ne mourraient pas Tous, mais Tous étaient frappés.
Retour vers le début des années 80, époque de transition dans bon nombre de domaines. Musical avec le passage du disco et du rock pompier au punk/new wave et à la soul. Economique et social avec la fin des '30 glorieuses', l’accroissement dramatique du chômage et la victoire de Mitterrand aux élections présidentielles. C’est aussi la fin du rêve soixante-huitard dans le domaine des relations personnelles. Le VIH remet en cause une certaine insouciance et annonce des lendemains qui déchantent.
Bizarrement, on ne retrouve que peu des aspects de l’époque dans le film de Téchiné. L’ensemble est assez intemporel, utilisant des lieux très 'bateau', de l’Ile de la Cité à une villa de la Côte d’Azur. La musique, à l’exception notable de "Marcia Baila" est plutôt passe-partout, on ne ressent aucun des problèmes socio-économiques du moment. Le milieu choisi (médecins, artistes, fonctionnaire, …) est en effet plutôt à l’abri de ce que commencent à subir de plus en plus durement, étudiants, ouvriers et employés. Rien non plus sur la peur viscérale éprouvé par certains face au Sida, les fausses informations circulant sur les modes de contamination, le refus des cafetiers de laisser entrer les sidéens dans leurs établissements, la campagne de Le Pen contre les ‘sidaïques’ (il réclamait pour eux des camps de concentration).
Téchiné ne s’embarrasse donc pas de vraisemblance, préférant un passé idéalisé à la dure description de la réalité. En témoigne le rôle de Sami Bouajila, simple inspecteur de police beur, marié à une fille de bonne famille juive, et possédant un brevet de pilote (!). Parmi les autres fausses notes relevées par certains, des modèles de voitures qui n’existaient pas à l’époque, des draps hospitaliers millésimés 2006, une Tour St-Jacques en plein ravalement, une exposition sur le Pont des Arts, des jardins du Trocadéro un peu trop fréquentés, … On s’énervera aussi de la pub omniprésente pour une marque d’aliment pour bébés.
Malgré tout, l’ensemble est assez touchant, grâce à des personnages bien campés et bien joués. On ressent également très bien la cassure qui se fait dans les têtes et les actes de tout ce petit monde. A l’époque baba-cool du début, permissive et axée sur un plaisir égoïste, succède une période de douleur et de remise en cause. Le monde ancien s’écroule et accouche d’une nouvelle ère où il faut se battre pour vivre et où l’interdépendance des protagonistes implique leur responsabilité collective. Certains ne sont pas capables de s’adapter et se laisse couler. D’autres y trouvent l’occasion de s’affirmer et de donner la vie à ce qu’ils portaient en eux (concert, livre, activisme antisida, …).
Bref, un film à voir pour tous les anciens combattants de l’époque, partagés entre la nostalgie et la satisfaction de s’en être sorti. Les autres ne devaient pas non plus s’ennuyer, mais ils risquent de se laisser en partie abuser par ce vrai-faux témoignage. Ca reste malgré tout une belle ode à la vie.
Note: 8/10
Compléments :
> Les critiques de "CommeAuCinema", "Telerama", "L'Humanité", "Excessif", "iMédias", "DvdCritiques", "AVoirALire", "Chronic'Art".
> Sur les Blogs: "Matoo", "L'Ouvreuse", "CriticoBlog","SurLaRouteDuCinéma", "Racines", "BlogL'Eponge", "Cinegotier", "CinéBlogywood", "Shangols".
20:00 Publié dans Destins, Ecrans Larges | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cinéma, LGBT | Imprimer
17/03/2007
Homme Pour Homme (Mann Ist Mann) de B.Brecht
Questions d’Identités.
Bertolt Brecht, Hugues Quester et Emmanuel Demarcy-Mota, tout devait être réuni pour une représentation intéressante dans la lignée de "6 Personnages en Quête d’Auteur" ou de "Rhinocéros", présentés ces dernières années au Théâtre de la Ville. A la sortie, l’impression qui subsiste est plutôt mitigée.
L’interprétation des acteurs est globalement très bonne (Hugues Quester en tête), les décors intelligents et bien utilisés, la mise en scène inventive et impeccable comme toujours de la part de Demarcy-Mota.
L’argument de la pièce est pourtant intéressant : comment un brave type ordinaire et sans histoire(s) devient un soldat sanguinaire sous l’influence corruptrice d’une société militarisée. L’action se passe dans une Inde soumise au joug colonial anglais, et où les troupes de sa ‘gracieuse majesté’ sont au dessus des lois applicables au commun des mortels.
Mais le déroulement de la pièce est assez surréaliste, et les dialogues très décevant de la part d’un auteur tel que Brecht. La charge du propos et la férocité de la dénonciation sont complètement désamorcés par le peu de sérieux dans l’enchaînement de la démonstration.
Le démarrage est plutôt bon avec d’une part la vie tranquille du docker Galy Gay, d’autre part la tentative de pillage d’un temple par une bande de soldat en goguette, proche des meilleures pièces satiriques propres à l’Europe Centrale ("Le Brave Soldat Chvéik", "Rhinocéros", …). Mais les scènes où le civil est amené de force à endosser l’uniforme, sont plutôt grotesques et inconsistantes de la part de quelqu’un qui a vécu les 2 guerres mondiales. Ces époques n’ont pourtant pas manqué de moutons tranquilles devenus des chiens enragés, après avoir été convenablement conditionnés par le système militaire. On vraiment très loin des réussites que sont "Full Metal Jacket" ou "JarHead" pour prendre quelques exemples cinématographiques.
La narration est également assez bancale, avec une longue digression concernant le soldat laissé blessé dans le temple et instrumentalisé par le prêtre. N’apportant rien de plus au récit principal, elle n’est que l’occasion de critiquer, en passant, la crédulité religieuse de la population. Cette scène sans intérêt aurait mieux fait d’être coupée pour améliorer celles concernant l’évolution psychologique du pauvre conscrit malgré lui, partagé entre soumission à l’autorité, désir de puissance et de reconnaissance, pouvoir de devenir quelqu’un d’autre en changeant d’identité.
Cette pièce a pourtant connu 3 versions (1926, 1938, 1953), ce qui aurait pu être mis à profit pour en corriger les défauts. Bref, "Mann ist Mann" est vraiment une pièce mineure de Brecht et elle ferait mieux de rester peu connue.
Note: 6/10.
Compléments :
> "Homme Pour Homme" au Théatre de la Ville de Paris en 2007.
> Les critiques de LeMonde, LesEchos, L'Humanité.
> Sur les Blogs: EnMargeDuThéatre , LeLittéraire, LeThéâtred'Antoine, BienCulturel.
> Citations de Brecht.
20:00 Publié dans Ethiques & Politiques, Sur les Planches | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Culture, Théatre, Brecht | Imprimer
07/03/2007
L'Odyssée de Kino (Kino No Tabi)
"Le Monde n’est pas Beau : Donc il l’est".
Kino est une jeune fille solitaire et peu bavarde, qui fait la route avec une vieille moto retapée [1]. Ce n’est pas son vrai nom, elle n’a pas de but, ne peut revenir dans le pays où elle a grandi (un des épisodes permet de connaître les raisons tragiques de son errance), elle ne fait que voyager en essayant de ne jamais passer plus de 3 jours au même endroit.
L’univers de ses exploits est un mélange chimérique de pays européens et asiatiques de la 2-ième moitié du 20-ième siècle, mais où les différents pays visités ne sont que des Cités-États analogues à celle de la Grèce antique ou la Chine ancienne. Leur niveau technologique est variable, allant jusqu’à des machines cybernétiques évoluées (les motos, dotées d’une intelligence artificielle, sont capables de parler), mais où l’avion n’a pas encore été inventé.
L’ensemble se rapproche des récits utopiques et uchroniques qui fleurissent depuis au moins Homère ("L’Odyssée", "Les Voyages de Gulliver", "Le Voyage en Occident", …). Le héros est un voyageur étranger confronté à des situations extra-ordinaires qui l’obligent à se questionner et à (re)définir sa relation au monde.
Modes de gouvernements, relation au travail, choc des cultures, fanatismes, meurtres, guerres, infanticides, cannibalisme, …, les thèmes abordés ne sont pas des plus plaisants, mais permettent d’explorer les recoins les plus sombres de l’esprit humain.
Androgyne, insensible, froide, déterminée, pacifiste et respectueuse de la vie, Kino aborde toute nouvelle expérience avec flegme, curiosité, empathie, cherchant à comprendre sans (presque) jamais prendre parti. Tireur d’élite, elle est capable, lorsque les évènements l’exigent, de retourner la situation en sa faveur. L’ensemble m’a souvent fait penser à la série télé "Kung Fu" avec David Carradine, où le 'Petit Scarabé' devenu grand confrontait sa sagesse orientale à la rudesse de l’ouest américain.
Mélange des compétences du réalisateur de "Serial Experiments Lain" et du scénariste de "Perfect Blue" et de "Millennium Actress", c’est une série qui devrait plaire à tous les amateurs de japanimes intelligents, où la beauté des images se conjugue avec une réflexion philosophique très Zen sur le sens de la Vie.
Note : 9/10
[1] appelée Hermès, dieu des voyageurs et des voleurs, messager des dieux et guide des héros (Persée, Héraclès).
Compléments :
> Le site de la série.
> Les critiques de "Animeka", "DvdAnime", "DvdRama", "Coolture".
20:00 Publié dans Ethiques & Politiques, Videothèque | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Japon, Animation, Séries, Zen | Imprimer
03/03/2007
Africa Paradis
Des Charters vers Roissy.
"Les Fils de l’Homme" décrivait une Europe de 2027 en pleine déchéance, plombée par la dénatalité, les divisions ethniques, l’épuisement des ressources, les pénuries quotidiennes, la décroissance économique.
"Africa Paradis" reprend en partie ce même thème, et imagine l’Afrique de 2033.
Forte de ses ressources naturelles et humaines, elle a réussi à s’unir et forme désormais les Etats-Unis d’Afrique, une fédération riche et prospère. Conséquence, les immigrés européens affluent, pour effectuer les petits boulots que les africains ne veulent plus faire. Mais si les plus progressistes d’entre eux ne voient pas d’obstacles à une immigration raisonnable, certains politiciens extrémistes agitent des thèmes xénophobes et racistes pour mieux assurer leur élection (toute ressemblance avec des situations actuelles n’est évidemment pas une coïncidence).
Le film suit le destin d’un couple de français blancs, formé d’un informaticien et d’une institutrice, dont la demande de visa a été refusée et qui tente de s’installer clandestinement dans le pays. Exploitation des sans papiers, contrôles policiers au faciès, comportements racistes prennent alors une résonance particulière.
Bien que forçant fortement le trait de la caricature, le scénario évite les clichés et l’inversion des rôles permet une dénonciation efficace de tout ce qu’on a récemment vu dans "Dans la Peau d’un Noir".
Le seul défaut de ce film est lié aux faibles moyens à la disposition du réalisateur. Le plus évident en est les scènes de foules effectuées avec seulement une vingtaine de figurants. Heureusement, ayant bénéficié du soutien de nombreuses personnalités africaines et antillaises, il aligne un bon nombre d’excellents acteurs 'blacks'. Par contre, les acteurs blancs, tous inconnus, font à côté bien pâle figure.
Le gros problème de ce film est également d’être la victime du racisme ordinaire qu’il dénonce. Refusé par tous les distributeurs français, prétextant une trop faible audience probable (qui irait voir un film de 'nègres' anti-racistes ?), il n’est sorti ou prévu que dans 5 salles en France, fait l’objet d’un gros black-out de la presse cinématographique, ne bénéficie d'aucun soutien des 'professionnels de la profession', et risque de ne pas rester longtemps à l’affiche.
Je ne peux donc que vous conseiller d’aller le voir de toute urgence.
Note: 7/10
Les salles qui s’honorent à le passer :
> Images d’Ailleurs (Paris).
> Espace Saint-Michel (Paris).
> Le Royal (Montpellier).
> Rive Gauche (Perpignan) du 14 au 27 mars.
> Le Palace (Cherbourg Equeurdreville) du 21 au 27 mars.
Compléments :
> Le site du film.
> Les critiques sur "Afrik", "Vidome", "Grioo", "CommeAuCinema", "Telerama", "LeFigaro", "AvoirAlire".
20:00 Publié dans Ecrans Larges, Ethiques & Politiques, Humour, Le Village Global | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Cinéma, Afrique | Imprimer