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30/12/2006

Babel

Babel 2006Des Maux pour le Dire.

"Babel", tour mythique, symbole de la division de l’humanité, trop nombriliste et trop orgueilleuse pour s’entendre et se parler. Comme la plupart des mythes judéo-chrétiens (jardin d’Eden, Déluge, Anges, …) son origine remonte aux premières civilisations mésopotamiennes (probablement la ziggourat de "Borsippa"). Un tel thème a déjà été abondamment utilisé dans des œuvres de fiction. Citons par exemple "Babel 17", excellent roman de Samuel Delany qui explore les relations entre langages et modes de pensée, ou les séries japonaises "Babel II" et "Nadia, Le secret de l'Eau Bleue", sans oublier l’île de Laputa de Jonathan Swift et tous ses dérivés ("Le Château dans le Ciel" de Miyazaki, …). Dans le cadre de leurs films choraux, Alejandro Gonzalez Innaritu et Guillermo Arriaga pouvaient-ils dire quelque chose de neuf sur le sujet ?

L’habileté de ce film est de mélanger les différentes formes de communication dans différents milieux pour en illustrer les importantes similitudes au-delà des nombreuses différences.
On y trouve les bruits des grandes villes et des médias modernes, le silence du désert et des zones montagnes reculées, les rapports humains dans toute leur diversité (employeurs / employés, couples, familles, amis, groupes de voyageurs, procédures bureaucratiques, …). Les foules propices à l’anonymat et aux excès succèdent aux scènes intimistes. Les messages se transmettent, se déforment, se diluent, s’appauvrissent, atteignent rarement leur cible, ont des effets induits souvent malheureux et hors de proportion illustrant parfaitement les lois de causalité à l’origine de ce qu’on appelle le Karma.
De ce point de vue le film est une réussite. C’est malheureusement au prix d’une certaine superficialité, personnages et dialogues étant peu développés, à la limite de la caricature. On a aussi du mal à comprendre la raison de certaines situations aussi surprenantes qu’inutiles pour le propos (nounou mexicaine passant la frontière sans papiers, enfants marocains libidineux, …). L’ensemble reste malgré tout cohérent, et est très bien joué, avec une mention particulière pour Brad Pitt peu habitué à ce genre de rôle tout en finesse.

Rinko KikuchiParadoxalement, la partie la plus réussie est celle qui se passe à Tokyo, et que beaucoup de critiques semblent trouver ‘hors sujet’. Pourtant, quoi de plus ‘parlant’ pour illustrer la difficulté de communication entre humains que le cas de jeunes sourds muets, exclus du système pour ne pas posséder les codes nécessaires aux échanges les plus élémentaires. Ce thème aurait pu être l’objet d’un film à lui tout seul (mais il n’aurait sans doute pas fait beaucoup d’entrées). Les scènes dans la boite de nuit où alternent ressentis des sourds et des bien entendants illustrent particulièrement bien le décalage entre les interprétations d’un même message. On pourra utilement les rapprocher des informations télévisées japonaises sur le prétendu attentat, que tout le monde voit, mais que personne n’écoute. Formatées pour un public international à partir des préjugés en cours, elle ne font que participer au bruit de fond ambiant sans informer qui que ce soit. L’impression qui domine est la solitude de l’individu dans l’immensité de l’Univers, son incompréhension et ses peurs n’ayant pas évolués depuis les temps lointains où s’est construit le mythe de la Tour. Il n’est dailleurs pas anodin que le film se termine dans une forêt de tours tokyoïte (moderne Babylone), tours dans lesquelles l’homme moderne est beaucoup plus atomisé qu’il ne l’était dans les villages horizontaux primitifs.

En résumé, un bon film qui aurait pu être meilleur en évitant la surenchère de situations gratuites, et en approfondissant la psychologie et les relations des personnages marocains et mexicains. Dans le flot de scénarios insipides produits par Hollywood, c’est en tout cas un film à voir en cette fin d’année.

Note: 7/10

Compléments :
> La Fiche du film sur Wikipedia.
> Le Site du film.
> Critiques sur "CommeAuCinéma", "iMedias", "Telerama", "Excessif", "LeMonde", "LeFigaro", "KrinEin".
> Sur les Blogs: "SebInParis", "Matoo", "Niklas", "Cinesia", "InTheMoodForCinema", "RosesDeDécembre", "Critiques Clunysiennes", "CinéManiac".

20/12/2006

Déja Vu

Voyeurisme Déjà VuCirculez, Y a Rien à Voir.

Alléché par quelques bonnes critiques et une bande annonce pas mal foutue, le cinéphage en quête de bons films (ça devient rare en cette fin d’année) aurait tendance à aller voir le dernier opus de Tony Scott (frère de l’autre). Son dernier film "Domino", innovant dans le fond et dans la forme, laissait également espérer une amélioration de qualité par rapport à une longue liste de blockbusters sans saveur. C’est raté. Il n’y a malheureusement pas grand-chose à voir, excepté une énième version du film de propagande patriotique, où de valeureux superflics sauvent le peuple américain de ses vilains méchants.

Malheureusement, ce n’est ni un film parodique ("Team America") ou fantasmatique ("Superman"), mais est présenté comme un polar crédible, en dépit des nombreuses incohérences du récit que n’a pas vues le scénariste. Aucune réflexion non plus sur les conditions d’utilisation d’un tel pouvoir. Là où "Minority Report", "L'Effet Papillon", "Retour vers le Futur", ou même des nanars comme "Time Cop", pointaient les risques liés à la modification d’évènements du passé, "Déjà Vu" y va franco, comme Bush contre l’Axe du Mal, avec l’assurance d’avoir Dieu à ses côtés. Tous les moyens sont bons pour sauver des vies (surtout celles des militaires américains) quelques en soient les conséquences.

La Liberté ne s'use que quand on ne s'en sert pasLa solution préconisée est donc un flicage total de la population, où toute intimité est bannie. Les citoyens de "Fahrenheit 451", "Brazil" et "1984" étaient encore privilégiés, car ils pouvaient encore bénéficier d’espaces où pouvoir s’isoler. Dans "Déjà Vu", plus personne n’est à l’abri de l’œil des bureaucrates gouvernementaux avec tous les dérapages que cela implique. Il n’est pas anodin qu’ils préfèrent mater une femme prendre sa douche, plutôt que surveiller les suspects potentiels. Qu’importe le respect des libertés civiques, si le peuple n’est qu’un troupeau de moutons à protéger de prédateurs enragés. Les USA sont sans doute la seule nation à être née dans un régime démocratique, et se diriger lentement mais sûrement vers une dictature comme celle dont rêvait Hitler et Staline. De tels films de propagande y préparent en tout cas les esprits...

Note: 5/10

Compléments :
> La Fiche du film sur Wikipedia.
> Le Site du film.
> Critiques sur "CommeAuCinéma", "Telerama", "Excessif", "FilmDeCulte", "Fluctuat", "KrinEin".
> Sur les Blogs: "Niklas".

13/12/2006

Fast Food Nation

Une Liberté mal en pointBienvenue dans une Economie de Merde.

"Super Size Me" se consacrait aux conséquences de la mal bouffe sur la santé des américains. "Fast Food Nation" prolonge l’enquête en remontant la filière jusqu’aux lieux de production.
En utilisant le biais de la fiction, il permet de présenter l’ensemble des éléments du problème, sans bla-bla inutile, le naïf de service étant lui-même un des rouages du système. Il analyse les différents éléments qui font que tout le monde, ou presque, a intérêt à fermer les yeux (et les narines) et perpétuer un mode de production néfaste pour la santé des consommateurs et les conditions de vie des populations concernées.

En quelques plans, tout est dit :
- les conditions d’élevage des bovins, entassés dans des enclos sans le moindre brin d’herbe, et nourris avec des granulés.
- les prix bas imposés par le cartel de la viande, qui ruine les éleveurs et enrichit les banques et les promoteurs immobiliers, via les hypothèques et les rachats de terrains à bas prix.
- le processus de fabrication, complètement industrialisé où le prix et les profits sont plus importants que la qualité du produit.
- le non respect des règles d’hygiène et de sécurité minimales, associé à des cadences infernales.
- les additifs chimiques destinés à redonner au produit un goût de viande acceptable.
- la proximité du Mexique qui fournit une main d’œuvre docile et pas chère, renouvelable à l’infini.
- la consommation de drogue qui permet de tenir malgré des conditions de travail déplorables.
- les accidents de travail qui sanctionnent la moindre erreur due à la fatigue.
- la désillusion des jeunes, dont les révoltes écologico-humanistes se heurtent vite aux nécessités économiques et au 'Patriot Act'.
- les collectivités locales qui croient sauver leurs bassins d’emploi en multipliant usines à bouffe et petits boulots dans les fast-foods.
- l’économie souterraine qui enrichit les profiteurs et trafiquants de tous bords.
- les employés qui n’ont d’autre choix que de se soumettre ou se démettre.

Très bon docu-fiction, ce film est en plus servi par un casting excellent et crédible.
A voir par toute personne un peu concernée par ce qui se passe dans le monde et ce qui se retrouve dans son assiette.

Note: 9/10

Compléments :
> Le Site du film.
> Critiques sur "CommeAuCinéma", "Libération", "Telerama", "Excessif", "KrinEin", "Critikat".
> Sur les Blogs: "SirenSorrento", "PapillesEtPupilles", "CineFan1987", "MyOwnPrivateBlog".

> "Backwards Hamburger", l'industrie du Fast-Food expliquée en dessin animé:

06/12/2006

The Host (Goe Mool)

The HostCancers contre Cellules Saines de la Société.

Le cinéma coréen est finalement assez peu connu du grand public français, malgré quelques petits chefs d’œuvres, souvent primés dans les festivals mais mal distribués dans les salles. Influencés par les cinémas chinois, japonais et américains, il présente toujours un point de vue original et inventif, loin des films parodiques ou d’exploitation du cinéma hongkongais par exemple. Une politique de quotas et de subventions analogue à celle de la France permet une industrie cinématographique puissante et des expérimentations tous azimuts.

On n’avait encore rien vu venir dans le secteur des 'films de monstres'. Avec "The Host", on retrouve "Godzilla", et "La Guerre des Mondes" revu et détournés pour en faire sans forcer le trait un film familial et de société qui peut se voir à plusieurs niveaux.
C’est à la fois un film écologique qui dénonce la pollution chimique, un film politique qui dénonce la présence impérialiste des bases américaines et les mensonges des gouvernants, un film de société qui brocarde l’égoïsme des nouveaux comportements individualistes, la vie difficile des petites gens ou la bêtise de l’héroïsme individuel.

Contrairement à "King Kong", qui est intéressant tant qu’on n’a pas rencontré la bête, et qui sombre ensuite dans le convenu, "The Host" démarre au quart de tour et montre très rapidement la bestiole. Il peut ainsi se consacrer aux vrais 'héros' du film, les paumés, les sans grades, les 'vrais gens', ceux qui sont les héros de tous les jours. Comme dans beaucoup de films asiatiques pas de 'happy end', les survivants n’étant pas ceux sur lesquels on aurait misé au départ. On a au contraire un film choral, où chaque individualité est mise en valeur, et où la communauté (ici familiale) importe plus que la somme de ses composantes.

Ceux qui chercheraient à y voir un film d’horreur à l’américaine, un film d’action plein de fanfaronnades guerrières, ou une célébration de nos technologies censées tout résoudre, seront inévitablement déçus. On est plutôt dans le registre des film tels que "Les 7 Samouraïs", quand des populations défavorisées s’unissent pour repousser l’envahisseur et préserver le peu qu’elles possèdent. "The Host" est un film qui raconte comment un organisme se débarrasse des cellules malignes qui se sont développées en son sein. Sans chimiothérapie, mais avec une énorme volonté de vivre en paix avec lui-même.

Note: 8/10

Compléments :
> La Fiche du film sur Wikipedia.
> Le Site du film.
> Critiques sur "CommeAuCinéma", "Libération", "LeMonde", "Telerama", "CinéAsie", "Excessif", "Fluctuat", "iMedias", "KrinEin", "WebOtaku".
> Sur les Blogs: "SebInParis", "SquidHeadChroniques", "LeHiboo", "PlumeNoire", "DrOrlof", "CosmopolitanStories", "Cinémapolis".

26/11/2006

Le Labyrinthe de Pan (El Laberinto Del Fauno)

Un Arbre très VaginalDe l'Autre Coté du Miroir.

Le conte de fées est un genre cruel où les ogres se nourrissent de chair fraîche, et où les grands-mères finissent souvent dévorées par les loups. Rien de gentillet donc, même si les héros sont souvent des enfants à une période charnière de leur vie (âge de raison ou puberté).
Transmis souvent oralement, quelquefois depuis la nuit des temps, il n’est cependant pas 'intemporel', chaque génération de conteur l’enrichissant et l’adaptant au contexte de son époque. Il peut même être créé de toute pièce, comme l’ont brillamment fait au siècle dernier Lewis Carroll ("Alice") ou James M. Barrie ("Peter Pan"). A notre époque, le foisonnement des œuvres fait qu’il est difficile de discerner ceux qui resteront dans les mémoires.

Au niveau cinématographique en tout cas, Guillermo Del Toro réussit là où M.Night Shyamalan avait lamentablement échoué ("La Jeune Fille de l’Eau"). Son fantastique fonctionne parce qu’il se nourrit d’un univers cohérent, et qu’il offre plusieurs niveaux de lecture qui se superposent et se complètent.

Prélude à l'Après-midi d'un FauneD’abord, on a évidemment le niveau du monde physique, celui de l’action, qui traite de la dénonciation du fascisme. Le monde des hommes côtoie celui des demi-dieux, des esprits de la Terre et de la Forêt (Pan est le dieu de la Nature. Mais le temps où la communication était possible est déjà bien loin. Les lieux de passages sont oubliés, le souvenir de l’ancien monde ne subsiste que dans les livres. Le fascisme qui suppose le formatage des esprits à une pensée unique, entraîne le refoulement des pensées vers l’inconscient. Il nie la Raison (symbolisée par le médecin). Son illogisme, basé sur la force brute, est bien mis en évidence lors de l’interrogatoire des braconniers, assez surréaliste. Doctrine liée aux prêtres catholiques et aux bourgeois, il s’oppose à la simplicité des paysans qui trouvent refuge dans la forêt.

Une Alice dans un Pays sans MerveillesA un second niveau, on a toute la symbolique des contes de fées sur le passage à l’âge adulte d’une jeune fille qui perd son innocence en même temps quelle se transforme physiquement. Ofelia doit subir 3 épreuves visant à la préparer à une nouvelle naissance, et donc le symbolisme sexuel est assez marqué (fécondation dans la matrice de l’arbre, abandon au désir devant la table chargé de douceurs, perte du sang marquant la fin de son enfance). Dans cet environnement, le temps est relatif et ne s’écoule pas aussi vite que dans le monde des hommes. Chronos, dieu du temps et dévoreur d’enfants (Cf. le tableau de Goya), est d’ailleurs abondamment représenté sur les murs de l’antre du croquemitaine. Le sablier utilisé dans cette épreuve s’oppose directement à la montre du capitaine, symbole du temps humain moderne.

L'Antre de la TentationEnfin on a la supériorité évidente des œuvres de l’esprit (intemporelles) sur la prétention à vouloir créer des empires éternels. Au contraire du fascisme, des montres mécaniques qu’il faut sans cesse réparer et des êtres humains qui disparaissent les uns après les autres, le monde des contes de fées existe de toute éternité et continuera à exister même quand toute construction humaine (labyrinthe, statues, …) aura disparu. Comme la Rose d’immortalité citée par Ofélia, il refleuri sans cesse, sans se soucier du monde qui l’entoure.

Le monde de la mythologie gréco-latine est ici particulièrement bien rendu, sans le côté un peu excessif lié aux mythes de Pan et de Chronos. Avec un coté graphique qui m’a beaucoup fait penser à l’univers de Loisel (avec le même genre de fées que dans son Peter Pan). Une belle réussite qui tranche dans l’univers des films fantastiques en général assez bourrins.

Note: 9/10

Compléments :
> La Fiche du film sur Wikipedia.
> Le Site du film.
> Critiques sur "Excessif", "Fluctuat", "FilmDeCulte", "iMedias", "ObjectifCinéma", "KrinEin".
> Sur les Blogs: "Niklas", "HellJohn", "L'Ouvreuse".